Demi teinte et nuances d'aigri
Décidément Tim Burton n’en fini plus de décevoir, touchant le fond avec "Alice au pays des merveilles" puis peu convaincant avec "Dark Shadows", il revient avec un biopic délaissant son Johnny chéri pour s’intéresser à un couple ayant défrayé la chronique dans les années 50-60, incarné par le duo Amy Adams-Christoph Waltz. J’osais espérer un long métrage dans la lignée de "Ed Wood", simple, très inspiré et efficace, malheureusement il semble que la magie burtonienne se soit envolée.
L’histoire nous narre donc le destin de la peintre Margaret Keane qui connue un succès phénoménal avec des tableaux de petites filles aux gros yeux, donnant un nouveau tournant dans l’histoire de l’art contemporain et du surréalisme, cependant troublée par sa rencontre avec un autre peintre plus extraverti qu’elle et ayant un sens du commerce inégalable qui s’emparera de son identité pour donner une plus large exposition à son œuvre dans un milieu où les femmes n’étaient que peu considérées, provoquant inévitablement une fracture en terme de reconnaissance publique, ce qui les emmènera en justice pour trancher à qui reviendraient les droits des fameuses toiles.
Burton veut filmer tout cela comme un biopic plutôt classique, en gardant tout de même sa patte en terme d’esthétisme, des maisons couleurs pastels au cadre baroque, stylistiquement il n’y a pas grands défauts quand on connait l’univers du réalisateur depuis "Pee Wee", à ce niveau là je valide. Après pour ce qui est du scénario c’est autre chose, déjà sur le papier on ne peut pas vraiment dire que ça fasse rêver, j’attendais surtout de voir ce que Burton allait en faire, et j’ai assez vite constaté qu’il n’allait pas s’aventurer dans un axe fantastique-fantasie où du moins créer une atmosphère particulière, il se contente d’obéir aux codes du biopic sans jamais franchir des barrières. L’histoire n’est pas sans intérêt loin de là mais quand on a la signature de Tim on élève tout de même le niveau d’exigence, et il ne répond pas aux attentes, ça manque surtout de malice, ne serait ce que dans la mise en scène où il ne dépasse pas le statut du classicisme quasi théâtral, de plus Christoph Waltz bouffe un peu trop l’écran en composant un personnage à la limite de la caricature de Hans Landa, à côté de ça Amy Adams tente de faire face et joue la carte de la fragilité, de la femme introvertie et blessée par les hommes de sa vie. Le reste du casting quand à lui est quasi transparent, n’ajoutant que de légères touches de peinture au tableau, recouvertes petit à petit.
La relation du couple ne se base que sur des mensonges et des apparences, la réflexion sur la singularité de l’art est bien abordée à un moment mais trop peu développée alors que le scénario tapait du pied pour approfondir tout cela, et c’est franchement dommage de ne pas creuser à cet endroit précis, Burton reste prisonnier de son divertissement volontairement light alors qu’il aurait très bien pu équilibrer les registres si il avait été en forme, les personnages de Margaret et Watler ne disposent que de séquences moyennement bien écrites, sans grande intensité, presque à la frontière de l’ennui, sentiment pour ma part quasi inconnue chez le réalisateur. Heureusement un bouleversement au cœur du récit arrive à redresser la barre, même si il nous laissera avec diverses interrogations concernant le passé de Walter, le rapport à la censure est intéressant bien que trop peu relaté et expliqué, mais la tension du couple dans la dernière partie est rendue d’une bien bonne manière avec à la clé une séquence quasi surréaliste lors du procès, ça j’ai plutôt bien aimé.
Mais mon principal problème, et j’ose extrapoler avec ce qu’est devenu le cinéma de Burton : où est la magie ? Nulle part, Tim arrive en bout de course en ce qui concerne les limites de son univers et de son utilisation picturale et scénaristique, son dernier long métrage de qualité étant "Big Fish" (2003) (voir "Sweeney Todd" (2008)), l’idée de base de proposer ce genre de film est piégeuse car on l’attends forcément au tournant, personnellement j’aime le Burton qui me fait rêver, qui me sort des cadres gothiques et multicolores, là dans "Big Eyes" tout ce qui pouvait être exploité c’est ce tableau intrigant de cette petite fille aux grands yeux, mais même ça c’est loupé, et le coup du "les yeux sont le miroir de l’âme" c’était pas la peine, merci du cliché, mis à part la scène du supermarché qui apporte une touche de "bizarre", ce regard reste et restera impénétrable, inexpliqué et surtout inexploité.
Une fois n’est pas coutume Burton me déçoit même si je m’attendais quelque peu au constat en demi teinte, il réalise une toile sans grande prétention, figurative à l’esthétisme riche et gardant sa signature au bas, mais exposée dans un cadre formaté dans une galerie commençant à prendre la poussière et bien éloignée de ses chefs d’œuvres d’antan. "Big Eyes" ne reste qu’un film des plus mineurs donc, qui sera malheureusement très vite oublié, le cinéaste arrivera t-il a ré-ouvrir grand les yeux pour à nouveau proposer quelque chose digne de son talent ? Je ne sais plus quoi en penser ...