Il était un réalisateur de renommée ayant son propre univers. Aujourd’hui, Tim Burton n’est plus qu’une sorte de yes man attitré des studios Disney (si vous pensiez qu’Alice aux Pays des Merveilles et Frankenweenie seraient les derniers, le bonhomme a tout de même signé pour Dumbo) qui, entre temps, ne cesse de se recycler sans jamais parvenir à retrouver son talent d’antan. Une traversée du désert qu’il tente de clôturer en revenant à un genre cinématographique qu’il n’avait pas traité depuis Ed Wood, à savoir le biopic. D’autant plus qu’il retrouve les scénaristes de ce dernier, Scott Alexander et Larry Karaszewski. Rien qu’avec ça, Big Eyes pouvait sonner comme un (petit) retour du célèbre réalisateur. Ce qu’il ne sera pas, n’ayant pas fait fureur au box-office mondial (20 millions de dollars). Mais est-ce justifié pour autant ?
Il faut bien le dire, depuis ses derniers films, Tim Burton n’arrive plus à convaincre le public, qui commence à bouder ses films (Frankenweenie n’avait même pas passé la barre des 70 millions de dollars de recettes). Alors, le fait de prendre un biopic n’était finalement pas la meilleure des solutions pour revenir. Surtout que sur le papier, il y a un gouffre entre Ed Wood et Big Eyes. Pour rappel, le premier parlait d’un réalisateur (considéré comme le pire que le cinéma ait connu) enfermé dans sa passion et son monde qu’il voulait absolument partager, tout comme Burton. Avec le second, racontant la scandaleuse histoire du couple Keane qui a été l’auteur de l’une des plus grandes impostures de l’art, il n'y a a priori aucune affinité avec le cinéaste. Et en voyant le film, cela se ressent.
Le problème avec Big Eyes vient du fait qu’au niveau de son allure finale, le long-métrage n’a rien d’une œuvre de Tim Burton. Et c’est cela qui lui a été fatal lors de sa sortie ! En effet, à aucun moment nous ne retrouvons la folie créatrice du réalisateur, que ce soit au niveau du scénario (en même temps, vu le sujet, il ne fallait pas trop en attendre à ce niveau-là), de la mise en scène ou bien de l’ambiance. Big Eyes aurait très bien pu être dirigé par un autre cinéaste lambda que cela ne choquerait personne tant il se présente comme un film diablement impersonnel (comme pour La Planète des Singes version 2001). De Tim Burton, vous n’aurait qu’un délire visuel de quelques secondes (la séquence de la supérette) et une introduction démarrant dans une banlieue pavillonnaire (la couleur flashy des maisons rappelant Edward aux mains d’argent). Mais c’est tout ! Rien de plus qu’un long-métrage mettant en scène sans réel génie son scénario.
Faut-il pour autant conspuer Big Eyes ? Bien sûr que non ! Certes, l’histoire a tout d’un biopic hautement classique (déroulant les faits sans vraiment s’intéresser aux personnages secondaires) et on cherche encore la patte de Tim Burton à l’heure actuelle, mais contrairement à la plupart des œuvres de son espèce, ce long-métrage n’est nullement ennuyeux. Cela, nous le devons au fait que le film arbore un ton comique (pour ne pas dire un chouïa fantaisiste) tout au long de sa durée. Bien entendu, il y a quelques passages dramatiques, mais dans l’ensemble, Big Eyes amuse au lieu de se plonger dans une pédagogie assommante. Un constat que nous devons principalement à l’ambiance qui s’en dégage, mis en valeur par une reconstitution des années 50-60 soignée et un peu délurée (ces décors colorés en sont la preuve), une bande son pétillante (la musique de Danny Elfman, bien qu’il ne soit pas à son meilleur), un montage énergique et surtout un casting fort sympathique (Amy Adams et Christoph Waltz en tête). Il suffit de voir la scène finale (celle du tribunal) pour comprendre à quel point Big Eyes se présente à nous comme une comédie dramatique bon enfant parvenant à faire sourire sans mal. Et franchement, cela fait du bien !
Alors oui, c’est décevant de voir Tim Burton nous offrir un film où il ne semble pas vraiment impliqué dans sa conception. Oui, Big Eyes n’apporte rien au cinéma, n’étant qu’un biopic comme n’importe quel autre. Mais au final, le film s’en sort très bien. Même mieux que certains projets hollywoodiens, pompeux et lourdingues, en parvenant à nous distraire de bout en bout avec bonne humeur. Et après quelques films avec lesquels il s’est outrageusement recyclé, Tim Burton apporte une petite note de fraîcheur à sa filmographie via ce long-métrage bienvenu. Le lyncher comme certains l’ont fait n’est donc pas excusable pour un sou !