Après s’être offert un détour par le documentaire (Cow, en 2022) et la série, la cinéaste britanique revient au long métrage, presque dix ans après son dernier opus, l’aventure outre Atlantique American Honey en 2016. Le bestiaire reste néanmoins au cœur de ses préoccupations, puisque Bird aborde la fascination d’une adolescente de 12 ans pour les oiseaux, tandis que son père immature tente d’extraire de la bave d’un crapaud pour un marché aussi douteux qu’illusoire.
Les familiers d’Arnold retrouveront le sillon qu’elle creuse depuis ses débuts, dans un cinéma social adoptant le point de vue des plus jeunes, dans un récit initiatique désenchanté, dénué de modèles et de réelles perspectives. Dans cet univers morne, l’euphorie ne peut naître que sur les illusions (un mariage précipité, l’appartenance à une milice pas une haine confraternelle) ou de la contemplation des beautés immatérielles. Encore dans l’enfance, mais confrontée à tous les manquements du monde des adultes, Bailey se réfugie à l’extérieur, dans les quelques lambeaux de nature qui jouxtent son squat, avant que les horizons ne s’épanouissent sur les champs, le ciel des toits, puis la mer. La rencontre avec Bird, un marginal excentrique qui semble refuser tous les codes de l’âge adulte, va concrétiser ces élans vers un autre monde, disponible à ceux qui savent le décoder.
Arnold reste toujours aussi pertinente lorsqu’il s’agit de placer son regard au niveau de ses personnages : elle les met en lumière sans les juger, et sa caméra à l’épaule les accompagne avec une empathie indéniable. La force de son cinéma réside dans sa capacité à combiner l’âpreté d’un milieu et tous les sursauts d’humanité sensible qui y surgissent.
L’audace de la proposition consiste ici à injecter des ressorts fantastiques, qui viendraient incarner les élans poétiques de la protagoniste. La métamorphose en animal, qui symbolisait déjà très joliment les émois des protagonistes dans Le Règne Animal, reste à un stade plus discret, dans une approche où la valeur métaphorique – voire onirique - prévaut, à la manière du Bird People de Pascale Ferran. La prise de risque est tout à l’honneur de la cinéaste, qui trouve ici d’autres voies que certains des tics qui peuvent plomber par instants sa mise en scène clipesque et arty.
En découle un récit étonnant, gorgé de forces contraires, au diapason de cette fin d’enfance où certaines vérités viennent lacérer les rêves ; Un film instable, dans le noble sens du terme, à l’image du personnage éponyme, incarnation de l’albatros de Baudelaire : incapable de rester au sol parmi les hommes qui le moquent, mais sublime dans le surplomb qu’il offre à ceux qui savent le regarder.