C’est au son des notes punk et rageuses de Fontaine D.C qu’Andrea Arnold nous invite à entrer dans l’univers déglingué de Bailey, gamine de 12 ans que l’innocence a quitté depuis bien longtemps. Alors qu’elle filme à travers les grilles de fer d’une passerelle urbaine un vol de mouettes haut dans le ciel, elle est soudain arrachée à sa contemplation ,par un jeune homme tatoué qui l’emmène sur une trottinette électrique. Bailey sourit chante à tue- tête, hurle sa fureur, ses rêves sa jeunesse :
«Personne ne peut arracher la passion des mains ingrates de la jeunesse » *
L’homme devant la conduit chez lui, chez elle, dans un squat du Kent ; il a trente ans à peine, trimballe un crapaud dans un sac plastique, sa poule aux œufs d’or qu’il entend faire baver des substances hallucinogènes pour les vendre :
« En l'état actuel des choses, je suis sur le point de gagner beaucoup d'argent
Des harpes d'or dans la poêle »
Bug, se marie le samedi suivant avec Kayleigh rencontrée trois mois plus tôt, il aimerait que Bailey, sa fille, qui ne la connait pas encore soit demoiselle d’honneur :
« Oh yeah, boya
Is it too real for ya? »
Pour qui découvre le cinéma d’Andréa Arnold, cette première scène, incursion dans les entrailles de l’Angleterre profonde, société en manque de repère dans laquelle des parents trop jeunes et immatures, asservis par leurs propres pulsions, s’avèrent incapables de protéger leurs enfants est un choc. Cette analyse quasi sociologique, esquissée caméra à l’épaule, est développée en toile de fond d’une belle chronique de l’adolescence, celle de Bailey, livrée à elle-même, partagée entre le squat de son père, chef de famille recomposée, toxico impulsif et le domicile d’une mère sous le joug d’un beau-père violent.
« Bird » n’est en fait qu’un instantané de cette vie si particulière, émaillée des rituels de l’adolescence (solitude face aux premières règles, affirmation de son identité par opposition aux comportements irresponsables de ses géniteurs), de rencontres, dont une, déterminante, celle de Bird, jeune homme marginal vivant sur un toit et qui , petit a perdu ses parents.
L’irruption de ce personnage mystérieux, magnifiquement interprété par Franz Rogowski (gueule cassée vu déjà dans « Ondine »), donne une ampleur et une teinte poétique à un récit qui ne manquait déjà pas de souffle, le fabuleux s’ invite avec bonheur dans une atmosphère pourtant pesante, mais jamais misérabiliste.
Car c’est un fait, le cinéma d’Arnold est vivant, vibrant d’humanité, porté par des personnages complexes campés par des acteurs touchants, à l’image de la jeune Nykiya Adams, lumineuse dans son premier rôle ou même de Barry Keoghan en père bien plus complexe qu’imaginé.
*Paroles (traduites) issues de Too Real de Fontaines D.C , dont le clip a été réalisé par Andréa Arnold: https://urlr.me/zpxSXw