Sublimer le quotidien, faire tomber nos barrières

Je crois que ce film, d'une audace folle et d'une originalité débordante, est la définition même du mot "grâce".

Pascale Ferran touche juste, dès la première scène. En mettant en scène ces gens, LES gens, la vie, elle donne déjà les premiers indices de ce qu'elle cherche à atteindre. Puis, elle réussit très vite quelque chose d'étonnant: faire en sorte que l'on puisse imaginer à la place de Gary et Audrey deux autres personnages, deux autres âmes un peu perdues. L'universalité du propos est alors immédiatement transmise. Comme si, dès cette première scène, on était invités à se glisser dans la peau de Gary, et plus particulièrement d'Audrey, pour pouvoir mieux en sortir ensuite.

Toute la première partie du film est pourtant assez terre à terre. "Bird People" prend son temps, peut-être même parfois un peu trop, mais toujours avec une grande subtilité, filmant avec une grande fluidité et une grande souplesse cette vie, ce bordel de vie, où s'égarent peu à peu et à leur manière nos deux personnages. Lui d'abord, harassé par un quotidien intenable, finit par accepter l'évidence qui s'impose à lui: lâcher prise. Tout bonnement. Tout simplement. Cette très longue, très lente première partie, annonce très discrètement ce qui finira par se déployer complètement pendant les dernières quarante minutes du film: l'oiseau qui semble saluer Audrey à la fenêtre du métro, l'oiseau qui, à l'autre bout du monde, apparaît comme par magie à la fenêtre de l'appartement où la femme de Gary se trouve, durant cette déchirante conversation vidéo...

Puis lorsque s'achève cette première partie, on comprend mieux l'importance de cette lenteur narrative qui déroute dans un premier temps. Malgré ces quelques signes assez mystérieux, Gary se libère de cette vie insoutenable de manière tout à fait rationnelle. Mais Audrey, de toute façon invisible dans cet immense hôtel où elle a tout simplement l'impression de ne pas exister, choisit (inconsciemment ?) de se libérer, littéralement. Entièrement. De s'incarner en une représentation idéale de l'envol et de la légèreté, lassée de cette vie qui ne lui en donne guère l'opportunité. Et là, dans un élan aussi poétique qu'audacieux, Pascale Ferran donne à son film un tout autre visage: il éclot, décolle, déploie de manière sublime ce qui jusqu'à présent n'était que discrètement instillé ça et là. Et nous, émerveillés, on accepte sans hésiter de se lancer dans cette envolée majestueuse; on porte alors un nouveau regard sur cette vie, sur ces gens, qui méritent tous que notre regard vienne frapper à leur fenêtre, qu'ils soient endormis, rieurs ou artistes, jusqu'à ce final qui n'est que l'aboutissement libérateur de l'élégant parcours des deux protagonistes.

"Bird People" est une oeuvre incroyable. Cette ambiance si spéciale, cette nuit qui n'a jamais semblé aussi belle, cette poésie où se mêlent mélancolie et humour; tout cela contribue à un résultat qui en fait un véritable objet de curiosité, aussi étrange que grandiose.
HugoLRD
9
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le 22 juin 2014

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HugoLRD

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