Riggan Thomson, star d'Hollywood, mondialement connu pour son rôle de super-héros Birdman, veut se relancer à Broadway, coeur du théâtre américain. Seconde vie, seconde carrière. Mais voilà, incapable de quitter son rôle, il est littéralement habité par son personnage, il est Birdman, au point d'entendre la voix de son personnage et d'acquérir ses pouvoirs, prisonnier de sa gloire passée. L'ambivalence est totale.
Innáritu place son film dans les coulisses du théâtre qui deviennent la scène, jusqu'à se confondre avec celle-ci. On ne sait plus si on est dans la pièce ou dans le réel, les personnages se déchirant aussi bien devant le public que dans les coulisses, jusqu'à former des quatuor amoureux, dans des disputes invraisemblables et exagérées, vrai vaudeville. Aucune coupe, uniquement des plans rapprochés, caméras épaule, dans ce décor étroit du théâtre. Plus encore on joue avec les règles du jeu théâtral, brouillant les lieux, le temps et les situations (la mort cherche à se montrer sur scène, la scène est partout, même dans la rue, et le temps se confond entre les répétitions générales et la première).
Quoi de mieux pour un film sur le théâtre qu'un film sur les acteurs ? Ça cabotine avec délice. Le casting est fabuleux : Emma Stone en fille sombre et anciennement toxicomane, Edward Norton en acteur salace et narcissique, Naomi Watts, d'une grâce incroyable, rêvant de gloire, et Michael Keaton, que l'on connait dans Batman, Spiderman, Robocop et qui, en incarnant un ex-super héros joue presque son propre rôle. Très grand acteur ici, capable de tous les styles. Le film est finalement une mise en abime, où la réalité de la vie des acteurs vient se confondre avec celle du film. L'ambivalence est partout.
Le film est aussi sur le cinéma. Inárritu rend hommage aux films de super-héros en filmant une New-York grandiose et introduisant une sorte d'ambiance fantastique dans son personnage de Riggan. Pouvoirs qui cachent une forme de bipolarité effrayante. Il truffe son film de références au cinéma : la moquette de Shining arpente le couloir des loges du théâtre, étroit et torve, comme dans le film de Kubrick et Inárritu fait cette citation parce qu'il emprunte au film ces plans rapprochés à la caméra épaule et l'art du plan séquence qui fait qu'on passe d'une pièce à l'autre sans coupes. Le film est empli de ces petites madeleines et hommages pieux au septième art et au théâtre.
Birdman interroge donc notre rapport à la scène par un huis clos luxueux et qui triche sans cesse, mais aussi le rôle du théâtre et des acteurs : affrontements égotiques, rêves de gloires déçus, non dits. Les acteurs se sentent mieux sur scène que dans leur vie, à l'image du personnage d'Edward Norton. Les autres cherchent la gloire et s'illusionnent dans l'alcool ou la violence. Car il règne une violence implacable dans ce film, les rapports humains y sont atroces : Norton tente de violer sa propre compagne (Naomi Watts) sur scène, Keaton tente de se tuer pour de vrai sur scène ; on brave les interdits, on pousse toujours plus loin dans l'excès. Et toutes ces frasques contribuent plus au succès de la pièce que le fond et le jeu des acteurs. On se moque sur les réseaux sociaux de Riggan Thomson, on lui demande des autographes, en tant que Birdman, il reste coincé dans cette gloire passée.
Riggan Thomson est prisonnier de son personnage. Dépressif, il tente de se tuer sur scène mais y échoue. Même sa propre mort il n'y parvient pas, tant il est oiseau en cage. Ses proches pensent à l'accident, ne le croient pas suicidaire. Il se retrouve à l'hôpital, dans une autre prison en somme, fait la une des journaux. Même ici il n'a plus aucun répit. Son suicide raté devient un nouveau succès. Contemplant les oiseaux qui s'ébattent dehors, il saute par la fenêtre et part les rejoindre puisque Birdman est un super-héros qui vole. Il est une figure mythologique, théâtrale en somme, un Icare ivre de gloire qui finit par se brûler les ailes. Seule la mort l'a libéré de sa cage dorée.