Le retour de Batman Le Terrible!
Le très talentueux Inarritu, cinéaste des âmes perdues et spécialiste des mises en scène déstructurés, nous revient en ce début d'année avec cette très attendue et oscarisée comédie acide sur les affres de la célébrité révolue. Surpris par ce changement de registre qui le voyait abandonner son habituelle noirceur drastique au profit d'une farce sur l'envers du décors, ses fans pouvaient être en droit de s'interroger sur la plus-value qu'il pourrait apporter à un genre maintes fois revisitée par les studios hollywoodiens. Que pouvait t'il nous apprendre de plus qui n'ait déjà été dit et montré par les monstres sacrés? Sans nul doute n'était ce pas la sa priorité, tout au plus un nouveau défi pour relancer une carrière qu'il redoutait un peu à bout de souffle à force de schémas brillants mais répétitifs.
Le résultat final, au demeurant brillant exercice de style et savoureuse critique acerbe sur ce monde du spectacle égocentrique, ne parvient pourtant pas à enchanter totalement l'admirateur que je suis de cet homme. Aucune réserve sur les comédiens, qui de Michael Keaton formidable en gloire déchue tentant de se racheter une estime professionnelle en homme d'esprit et de théâtre (un oscar de plus n'aurait pas été volé) à Zach Galifianakis impérial en imprésario avide de succès et d'argent, en passant par un hilarant Edward Norton imbuvable en sale type incarnant toute la pédanterie de ces prétendus dramaturges respectable citant du Becket et Barthes, font tous très bien le job. Pareillement pour la gracieuse Naomie Wats, qui se rêve grande dame de la scène et n'arrive jamais à sortir de rôles tous plus obscurs les uns que les autres, sans oublier la méconnue Andréa Risbourough qui réussit parfaitement à donner le change à ses partenaires.
Mais ces personnages ne sortent jamais des archétypes censés définir leur progression. Une linéarité qui s’accommode assez peu de la folie dont semble vouloir se réclamer un film qui n'a de cesse de proclamer la sortie de route comme moteur de vie. Il n'y a qu'à voir cette amorce de relation sentimentale entre les deux écorchés que sont Emma Stone et Edward Norton. Deux cœurs en peine qui se retrouvent attirés par leurs fêlures respectives et qui fusionnent d'autant plus qu'ils n'arrivent plus à jouer avec leurs images d'impassibles. A trop vouloir sortir des sentiers battus, le mexicain prend au contraire le risque de s'y enfoncer. Et l'interprétation de la concernée n'est pas la plus enthousiasmante du casting, avec ses moues improbables et son jeu monolithique.
L'autre écueil dont n'arrive pas à se sortir complétement l'hispanophone est d'avoir voulu préservé une moralité positive qui ferait de l'ancien super-héros ailé le réel philosophe éclairé, dictant la conduite à suivre à ce magma grouillant décérébré de la faune intellectuelle. Éconduisant ainsi le fil narratif attendu du genre, il rend évidemment un superbe hommage à ses idoles de jeunesse et adresse un message clair à l’intelligentsia: un produit calibré, quel qu'il soit, quand il est fabriqué avec du savoir-faire et le respect du public auquel il s'adresse, vaudra toujours infiniment mieux que la plus inconséquente œuvre, fusse t'elle achevée par les plus belles signatures.
Ce faisant, il assigne un procès en démagogie à ces plumes acariâtres qui s'estiment rois du monde et pensent que s'approprier la lucidité des grands auteurs suffit à les placer sur l'exact pied d'égalité. Les références au Batman période Tim Burton sont évidentes, ne serait-ce que par la présence de son ancien comédien, et pour jubilatoires et astucieuses qu'elles soient, elles n’empêchent pas ce renversement de procédé de paraitre un brin factices. La dernière séquence, révélatrice de l'envie de ne pas trop braquer les studios et d'offrir un épilogue moins sombre qu'espéré, va dans ce sens.
Ceci étant dit, il ne faut pas se méprendre sur la bonne qualité intrinsèque de l'ensemble. Comme cité plus haut, les interprètes impriment un tempo jouissif à cette satire qui réussit le pari de raviver d'excellents souvenirs aux trentenaires d’aujourd’hui. Et la réalisation, qui défie la grammaire cinématographique avec ses longs plans-séquences qui suivent d'une traite des individus entrer et sortir du cadre comme par inadvertance, s'amuse constamment de ce dispositif pour inventer une sorte de métaphore sur la versatilité indubitable de ce milieu corseté. On y croise aussi un onirisme enfantin accompagnant ce fameux Birdman et un humour vachard qui réjouira les esprits attardés que nous sommes tous restés. Somme toute, le plaisir de suivre cet univers familier prend aisément le pas sur les quelques défauts de fabrication et l'on se prend à rêver d'une suite narrant la seconde carrière héroïque de ce nouveau modèle des temps modernes. Vraiment pas si mal par les temps qui courent!