Nouvel opus d'Innaritu quatre ans après "Biutiful", "Birdman" était pour moi un des films les plus attendus de l'année, la présence de Michael Keaton en haut de l'affiche dans un rôle visiblement en lien avec son propre parcours n'y étant pas étrangère. Mais après des premiers retours pour le moins mitigés (c'est tout l'un ou tout l'autre, en gros), je commençais franchement à flipper, tremblant à l'idée de me retrouver face à un beau pétard mouillé.

Collant aux basques d'un Michael Keaton en grande forme, "Birdman" épouse sans barrière ni limite le point de vue d'une star déchue tentant maladroitement de revenir sur le devant de la scène, ne le lâchant qu'à de très rares occasions. La caméra donne corps à ses angoisses, à ses obsessions, dans un gigantesque ballet dont la construction aussi bien formelle que narrative rappelle sans cesse une session de jazz, le rythme frénétique et les percussions accompagnant magistralement les montées de tension d'un Keaton au bord de l'implosion.

Une approche brillante et jamais gratuite, risquée, reposant sur une poignée de plans-séquences liés en une seule et unique entité par la magie de l'outil numérique, en parfaite adéquation avec le métier d'acteur qui consiste à trouver son propre flow, sa propre vérité, une fois assimilées de solides bases techniques. La mise en scène incroyable d'Innaritu est ainsi un véritable tour de force, une vraie proposition de cinéma, même s'il faut bien reconnaître que son jusqu'auboutisme pourra en laisser plus d'un sur le carreau.

Annihilant complètement la frontière entre fantasme et réalité, entre le texte de Raymond Carver et le parcours de ses personnages, "Birdman" fascine également dans la crise existentielle qu'il met en scène, dans la détresse morale et affective d'un homme ne supportant plus une seconde l'image que le public comme la profession lui renvoient, prisonnier qu'il est de ses propres attentes, de ses échecs professionnels comme personnels, de ses rendez-vous manqués.

Si le film d'Innaritu est plus d'une fois pertinent dans sa description hystérique du microcosme qu'il ausculte, revenant avec un mélange de rage et de malice sur certains aspects du métier (la critique se complaisant dans un certain élitisme; les grands acteurs se bradant pour des produits calibrés...), on pourra regretter une écriture sans réelle subtilité, enfonçant des portes déjà grandes ouvertes et multipliant les clichés.

Un défaut qui empêche "Birdman" de prendre pleinement son envol, auquel on pourra ajouter un léger manque d'émotion et une fin à rallonge, s'achevant sur un plan ultime qui laisse perplexe. Le casting, incroyable, rattrape heureusement ces quelques tares, le névrosé Keaton, impérial, évoluant autour de seconds rôles frappadingues, dont on retiendra surtout un Edward Norton délicieusement égocentrique et qui n'avait pas été aussi bon depuis longtemps.

Farce sauvage et psychotique sur la vacuité de nos petites souffrances existentielles face à l'immensité de l'univers, "Birdman" n'est peut-être pas le grand film qu'il aurait dû être, la faute principalement à une écriture sans nuance, mais ose au moins quelque chose, force le respect par ses partis-pris, par sa maîtrise technique, et ne devrait laisser personne indifférent. Ce qui est déjà énorme à l'heure d'un cinéma affreusement plat et formaté.

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le 8 mars 2015

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Gand-Alf

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