Je ne sais pas ce qu'ils ont ces Mexicains mais, après Cuarón et son ballet spatial, Alejandro González Iñárritu nous offre, à son tour, une œuvre entière filmée en plan séquence. Toutefois, le cinéaste n'utilise pas cette technique de façon conventionnelle. Si on devine les points de coupe qui ont permis l'assemblement de ce plan gargantuesque, l'exercice de style n'en demeure pas moins extrêmement saisissant et immersif, particulièrement grâce à la photo splendide de Lubezki qui donnerait presque un sentiment de relief. Et cette illusion d'un réalisme exacerbé n'est que davantage chamboulée lorsqu'Iñárritu esquive le facteur temps en l'espace d'un tour de pièce, octroyant une dimension fantastique à son œuvre. Par ailleurs, la bande-son signée Antonio Sánchez, entièrement percussive - parfois tribale, jazzy - supplée de quelques compositions classiques (Ravel, Tchaikovsky, Rachmaninoff...), insuffle des sonorités uniques et mémorable, et confère un réel rythme au long-métrage, créant les sensations et l'énergie propres à chaque séquence. En plus d'un design sonore extrêmement spatialisé, Iñárritu parvient alors à rester inventif, à conserver un rythme sans cesse captivant, faisant virevolter harmonieusement sa caméra tout autour du théâtre servant de point d'ancrage au film, ainsi que des personnages gravitant autour de Riggan Thomson (Michael Keaton).
Ancien acteur de blockbuster qui tente de se reconvertir au théâtre, ce dernier doit faire face aux imprévus de Broadway, ainsi qu'à cette voix intérieure de Birdman, un super-héros qu'il a interprété vingt ans auparavant, et qui ne cesse de vouloir le ramener à cette gloire d'antan. Derrière cette prémisse absurde découle une œuvre surprenante, quasi-mystique, et satirique vis-à-vis de l'état de l'industrie hollywoodienne. Ce trouble de la personnalité mène alors le film de façon jubilatoire, tout en se révélant être une véritable réflexion sur la carrière de Keaton lui-même. La dramaturgie n'est jamais trop forcée, constamment relevée de situations burlesques impeccablement écrites, les dialogues sont excellents, souvent hilarants de par leur finesse ou diatribes, d'une façon qui rappelle par moment les univers de Wes Anderson. Et, quand bien même Keaton est le moyeu du long-métrage, et se montre sensationnel dans ses convictions et sa folie illuminée, chaque autre acteur est dirigé à la perfection et profite subtilement à la richesse de l’œuvre. Emma Stone, en ex-camée exubérante et trop mignonne, Edward Norton, en acteur mégalo, pervers et imprévisible, ou encore les splendides Naomi Watts et Andrea Riseborough, aux personnalités bien distinctes. Même des rôles plus tertiaires comme celui de Zach Galifianakis, en producteur de la pièce, ou Lindsay Duncan, en critique éminente, subliment le parcours de Riggan vers sa rédemption artistique.
Toutes les séquences de Birdman s'enchaînent alors à merveille, en un réel travail d'harmonie - visuelle et sonore - unique, visant à plonger directement le spectateur au cœur d'un récit irrésistible, et de ses scènes d'anthologie. Iñárritu signe là une œuvre exceptionnelle, parfois psychédélique, mais complètement prenante et mémorable.