La tendance du cinéma américain à se mettre en abîmes a montré au public un certain nombre d’oeuvres auxquelles Birdman fait référence. Comment ne pas penser à Phantom of the Paradise qui retranscrit au cinéma l’expérience traumatisante qu’a vécu De Palma lorsqu’il s’est senti dépossédé de son film Get to know your rabbit par la Warner Bros.
Le réalisateur qui veut être artiste peut-il avoir son mot à dire face à l’industrie du cinéma ?

Birdman est un film tiraillé entre le succès populaire et la recherche artistique.
Riggan Thomson est devenu une idole grâce à son rôle de Birdman dans une trilogie de blockbusters. En refusant de tourner dans Birdman 4 vingt ans plus tôt, l'acteur s’est éloigné des grands studios hollywoodiens et veut percer à Broadway, revenir à un art théâtral, jugé bien plus noble aux débuts du cinéma.
Il adapte la nouvelle "What we talk about when we talk about love" de Raymond Carver, dans laquelle quatre comédiens parlent d’amour.

Le procédé de mise en abîme permet de brouiller les frontières à 3 échelles : la pièce de théâtre, le film de cinéma, la vie réelle.
Dès le début, un comédien doit être remplacé et plusieurs grands noms de l’industrie du cinéma sont évoqués : Michael Fassbender, Robert Downey Jr… Mais tous préparent leur prochain film de super héros. Ce rapport au film de super héros va jusqu’au casting même de Birdman : Michael Keaton a été Batman, Edward Norton est Hulk. Petite note sur la présence de Naomi Watts, qui n’est pas sans rappeler son rôle exquis dans Mulholland Drive.
Au final, c’est Michael Shiner, comédien reconnu de Broadway, qui reçoit le rôle et assure à la pièce une qualité que le metteur en scène recherche : Il veut dépasser l’illusion théâtrale, introduire la réalité dans la pièce. C’est au théâtre qu’il se sent le plus sincère, la vie quotidienne est la comédie humaine. Leurs deux noms associés assurent à la pièce un succès certain, capable de mélanger public de Broadway avec public de cinéma.

Tout le film est basé sur ce conflit entre cinéma et théâtre.
Riggan est en conflit avec Birdman. Il veut rejeter le côté spectaculaire du cinéma qui fait pourtant rêver et donne espoir aux foules. Il préfère se consacrer à la quête artistique de la vérité par la mise en scène théâtrale, bien plus intime, mais aussi plus hermétique au grand public.
La voix grave et saturée de Birdman, mêlée avec les riffs de batterie qui donnent un rythme original au film, lui fait perdre le contrôle, car il la considère comme l’obstacle principal à son à l’espoir de devenir un artiste digne de ce nom.
Peut-il être artiste après être passé par la case Hollywood ?

Sa notoriété théâtrale dépendra de la plume de la critique Tabitha Dickinson, qui ne voit dans l'arrivée de Riggan Thomson à Broadway qu’une intrusion perfide de Birdman au théâtre, sans même avoir vu la pièce. Elle confond l’être humain doué d’émotions avec le personnage populaire exécrable que lui renvoie les médias. En faisant preuve d’un biographisme complètement aveuglé par ses idées reçues et qui rejette toutes les subtilités cachées, comment peut-elle espérer déceler la valeur artistique d’une telle oeuvre ? Elle se cantonne à un art théâtral complètement déconnecté de son époque, un art passé et qui ne pourra plus revenir face à la suprématie du divertissement commercial. Elle a la mainmise sur tout Broadway et décide du destin des pièces à travers sa plume. Mais son opinion a-t-elle plus de valeur que les sociétés de production qui produisent des blockbusters à la pelle ? En attendant, elle écrit sa critique assassine en noyant son chagrin dans l’alcool.

Le film ne peut que dépasser ce manichéisme mal / bien, Hollywood / Broadway, action / vérité.
C’est un film produit par la Fox Searchlight Pictures, qui semble avoir des intentions autres que simplement spectaculaires, malgré son casting alléchant et sa bande annonce qui peut paraitre trompeuse. C’est un film qui peut concilier réflexion artistique et succès commercial.
C’est peut être dans la liaison de ces opposés que Riggan peut surmonter sa schizophrénie, et accepter la part de Birdman en lui, sans qu’elle l’étouffe pour autant.
C’est peut être dans la liaison de ces opposés que le futur du cinéma, art des foules,repose.

Le monde est beau. Les oiseaux chantent.
yaya-dc
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le 8 févr. 2015

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