"You're no actor, you're a celebrity"
Birdman, c’est l’histoire de Riggan Thompson, autrefois vedette de blockbusters mais aujourd’hui has been, et de sa tentative de retour sur le devant de la scène via la création d’une pièce à Broadway. Le parallèle avec Michael Keaton, acteur principal du film cantonné à de petits rôles depuis 1992 et son dernier Batman, est évident, mais est loin d’être l’argument principal du film. De par son histoire, celui-ci se permet en effet de porter un regard acide sur les films super-héroïques qui peuplent nos salles de cinéma : nécessaire rentabilité, acteurs piégés dans des rôles ne les laissant guère exprimer leur talent, spectateurs hébétés et peu regardants, en ne se privant pas de lâcher ça et là quelques noms connus. Mais ils ne sont pas les seuls à en prendre pour leur grade, sont ainsi attaqués les critiques, ayant droit de vie ou de mort sur chaque création, avec tout ce que cela entraîne de questionnements sur leur légitimité, là où les autres comédiens, les vrais, les artistes, représentés par un Ed Norton au top de sa forme, se voient reprocher une implication parfois questionnable et surtout une incapacité à aborder le monde réel une fois de retour en backstages.
Voilà pour le message, le reste est une plongée dans la psyché du personnage principal, dont la schizophrénie rend touchant son tiraillement entre l’envie de devenir reconnu et celle d’être connu (« you’re no actor, you’re a celebrity »), entre la difficulté de réussir à Broadway et l’apparente facilité que serait un retour de Birdman. Les diverses hallucinations de Riggan sont d’ailleurs l’occasion d’illustrer ce déchirement intérieur d’un héros soucieux de laisser une marque durable. C’est d’ailleurs sans doute également le souhait du réalisateur, Alejandro Gonzalez Iñarritu, tant ce long-métrage transpire la course aux Oscars : film qui parle de films, gros plans incessants comme pour mieux accentuer la performance de ses acteurs, et surtout une merveille de mise en scène qui laisse penser que le film tout entier ne serait qu’un seul et même plan-séquence. Bien évidemment, ce n’est pas le cas, mais le simple fait de rendre ceci crédible, et l’énorme clin d’oeil qu’il est au théâtre, où l’erreur n’est pas permise, faute de montage, font qu’on ne peut que saluer le réalisateur mexicain pour cet exploit. Chapeau également pour la manière qu’il a de mettre en valeur ses acteurs : tour à tour intrigants, inquiétants, passionnants, drôles, pathétiques ou dérangeants, Keaton, Norton et Emma Stone n’ont pas volé les louanges qui leur sont faits actuellement et, par des dialogues ciselés, servent à merveille ce petit bijou qui, s’il ne changera probablement rien à la logique hollywoodienne, aura au moins le mérite d’en souligner les travers, les profiteurs et les laissés pour compte.