Comme la plupart des films que j'ai pu voir cette année et qui m'ont surpris, je n'avais rien lu au préalable sur Birdman, ne savais rien de l'intrigue et étais pas du tout au courant de la présence d'Edward Norton, qui m'aurait à elle seule motivée pour aller voir le film, avec d'autres membres du castings relativement intéressants.
Si Birdman prend l'allure, au début, d'un mauvais film sur du mauvais théâtre, tout se met en place très vite, en quelques traits bien placés qui ont réussi à me captiver pratiquement directement. La caméra, premièrement, que j'ai trouvé vertigineuse, indiscrète, grossière, très réussie. La pose très subtile d'éléments de l'intrigue qui s'imbriquent sur plusieurs niveaux, avec naturellement la pièce, proposée comme mise en abyme principale (notamment la remarque de Riggan sur le fait que cette pièce ressemble de plus en plus à une miniature grotesque et déformée de sa vie), et puisque la pièce parle de l'amour (d'autre part, il me semble que c'est la tirade de Mike, "Yes, yes love is absolute ! " qui m'a fait tomber amoureuse du film), le film parle d'amour, d'admiration, et d'existence, mais plus que tout, il parle d'art.
J'ai trouvé très bien joué, et très sensible, la position de Riggan Thompson, qui après une carrière réussie en jouant Birdman, un super héros grand public dans un film d'action, essaie de monter une pièce à Broadway, et essaie de...quoi, faire de l'art ? Le but n'est pas vraiment là, mais il essaie en tout cas de se prouver quelque chose, et si ce n'est le but de l'art, et du théâtre (qui à maints égards est un art très éprouvant), je ne sais pas ce que le but de l'art est. Il y a donc cette opposition entre la facilité du film d'action (la facilité du divertissement, de Hollywood, de ces "égoïstes, prétentieux, spoiled kids") et la maladie d'Hollywood et de tous les acteurs qui s'inquiètent de leur célébrité et mesurent leur talent à l'aune des foules, et d'un autre côté, il y a l'art, le théâtre, symbolisé par Mike, qui est incapable d'être vrai sauf sur scène, et cette volonté de faire de l'art et de gagner du prestige ("Popularity is the slutty little cousin of prestige"), etc. Mais les apparences sont trompeuses. Les maladies ne sont pas où on le croit. L'opposition des deux caractères masculins principaux (Mike et Riggan) m'a touchée et était convaincante. La BO géniale et les dialogues percutants qui ne perdent jamais leur rythme. J'ai vécu le film dans un état d'excitation intense que la caméra communique très bien. L'atmosphère électrique de New York est rendue à merveille, avec une fébrilité croissante.
Pareil pour l'analyse de la situation de l'art maintenant et de la constante peur de non-existence comme symptôme d'un 21e siècle un peu dépassé par la technologie. La question revient à: est-ce que j'existe si les autres m'aiment pour quelqu'un que je ne suis pas ? M'aiment pour un mensonge ? M'aiment pour quelque chose comme je rejette comme étant de la "sous-culture" mais qui me définit ?
On reprochera peut-être au film sa prévisibilité, mais elle est certainement voulue, en aucun cas ce suicide devait être un acte surprenant pour le spectateur. Le génie de ce film revient entre autres à sa construction méticuleuse, notamment basée sur le rapport père-fille conflictuel qui se résout à la fin...ç'aurait pu être cliché ça ne l'est pas, aucune scène ne l'est. Pourquoi ? Parce que ce sont des tripes, de la vraie matière que le réalisateur nous a posé sur la table, ou plutôt sur la scène, et ça a été ma plus grande baffe cinématographique jusqu'à maintenant.