Parce que chaque super-héros a son Clark Kent

Le-réalisateur-mexicain-dont-on-ne-se-rappelle-jamais-le-nom-après-Guillermo-del-Toro-et-Alfonso-Cuaron, Alejandro Gonzales Iñarritu, frappe très fort l’année 2015 avec Birdman, presque 10 ans après son incontournable Babel et quatre ans après un timide Biutiful. Comment définir Birdman ? C’est simple, c’est le film dont on entendra le plus parler cette année grâce à la cérémonie des Oscars jusqu’aux interventions des énormes blockbusters Marvel qui l’enterrerons dans l’oublie. Multi-nominé aux Oscars 2015, en tête ex-aequo avec The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson mais obtenant le doublon Meilleur Film/Réalisateur, Birdman débarque de nulle part et de manière totalement impromptue. L’étonnante performance du réalisateur sur un film vendu comme étant tout public et peu dramatique, réussit à éclipser complètement les autres films du tableau cinématographique, pourtant composé de Clint Eastwood et presque entièrement de films inspirés de faits réels voire entièrement adaptés de personnages existants. En sommes des films dont les votants sont habituellement friands. Malheureusement cette fois-ci la supercherie n’a pas opérée, quoique ce ne soit pas si sûr.


Si Selma et The Imitation Game retracent respectivement la vie de Martin Luther King et Alan Turing, et si The Theory of Everything semble mettre à nu le grand physicien Stephen Hawking, Birdman est pourtant lui aussi un film retraçant des faits réels. Et c’est là que la supercherie fonctionne à merveille. Michael Keaton joue en fait ici son propre rôle dans une certaine mesure. En effet le film retrace l’histoire d’un acteur déchu qui connut son heure de gloire en incarnant un super-héros au cinéma mais qui tombe dans l’oubli et tente bon gré malgré de mettre en scène sa pièce de théâtre et de retrouver un semblant de carrière. Chose qui finit par se dérouler pour l’acteur. A la différence des autres films qui se basent sur l’histoire de personnes célèbres mortes ou mal en point, celui-ci s’attache à présenter un acteur peu influent d’Hollywood dont presque personne ne connaît la filmographie en dehors de la partie qui recoupe celle de Tim Burton. Ce n’est pas parce que tu ressembles à Julien Lepers que tu peux faire le fifou, surtout que t’as joué dans Need for Speed la même année donc calme-toi. En fin de compte Birdman fait un gigantesque parallèle entre la fiction et la réalité à plusieurs niveaux. D’une part au travers de la vie du personnage qui est étrangement similaire à celle de l’acteur, ensuite entre le film qui filme le théâtre et les coulisses de celui-ci et enfin en renonçant au procédé qui caractérise la nature même du cinéma, à savoir le montage, pour laisser place au plus long plan séquence que connaît le cinéma aujourd’hui.


S’il y a bien une performance que l’on ne peut pas retirer au film, c’est celle-ci. Plus d’une heure et demi de plan séquence, non seulement c’est du jamais vu, mais surtout ça demande une coordination sans précédent. Avec un tel atout dans sa manche, certains Oscars se comprennent mieux, et tous les mérites incombent à Iñarritu alors que le plus à féliciter dans l’histoire est certainement son cadreur. Il faut admettre que le plan séquence, a défaut d’être original puisqu’à partir du moment où le terme « plan séquence » est inventé, n’importe qui peut déterminer à son bon vouloir la durée de celui-ci, est un pari extrêmement couillu. N’importe quel clampin serait capable d’y penser, mais le faire, c’est une autre paire de manche. Et en l’occurrence une telle durée apporte de nombreux soucis. On pourrait donc applaudir les acteurs, qui doivent connaître leur texte entier sur le bout des doigts ainsi que les déplacements. Mais n’importe quel acteur de théâtre en est déjà capable, donc leur performance ne semble pas si exceptionnelle. La scénographie complète la mise en scène, et gérer entièrement les déplacements au travers des décors fut certainement l’une des choses les plus compliquées à mettre en œuvre. Gérer les espaces, les angles de caméra, les reflets, les déplacements, à un tel niveau, c’est vraiment une performance artistique peu commune. Mais c’est bel et bien au cadreur que revient le plus gros mérite. Faire autant de déplacements d’avant en arrière, suivi de panoramique, dans de toutes petites salles et des couloirs exigües, pendant une très longue période, autant dire que le super-héros de l’histoire c’est lui. Même si le plan séquence est raccordé numériquement, et qu’aucun plan ne doit durer plus de 20 minutes, cela ne retire rien à la performance car les plans durent tout de même 20 minutes, et c’est suffisamment rare pour le signaler. Il en va de même pour les reflets de caméras et autres artifices utilisés ou visible durant le film. Si tout cela est corrigé au montage, effacé, rajouté, soigné, il subsiste que certains plans sont minutieusement pensés pour éviter de faire ce genre d’erreurs.


Tout est soigneusement cadré, précautionneusement maîtrisé et supervisé, mais il subsiste une forme d’incompréhension quant au choix du plan séquence. La nature même d’un plan séquence cherche à dévoiler la vérité et à s’affranchir de toutes fictions. Si les divers artifices fonctionnent très bien ici et que le plan séquence est maîtrisé, il est malgré tout triché grossièrement. En réalité les ellipses marquent une pause dans le plan, et même s’il y a un raccord numérique, le spectateur le comprend comme une véritable pause narrative. Ainsi l’intérêt du plan séquence est fauché. Dès lors il semble que sa présence n’est là que pour renforcer l’impression de performance démesurée qu’offre le film. Des films traitant de la séparation entre fiction et réalité, il y en a déjà eu beaucoup, et la succession de séquences n’a jamais empêché de faire passer son message, ce qui prouve que ce n’était pas ici incontournable. Par conséquent, il est dommage de tricher à ce point avec une ellipse plutôt que d’assumer la fausse nature de son plan, qui n’aurait rien enlevé à sa puissance narrative et symbolique. Au final il en résulte deux problèmes majeurs. Le premier est qu’un plan séquence comme celui-ci finit fatalement par manquer de puissance et l’ennui finit progressivement par nous atteindre. D’abord la bande-annonce mensongère (comme souvent) qui orientait le film comme un violent délire alors que c’est relativement calme et ensuite par l’intérêt même de l’histoire qui est somme toute très relatif. Le second est que ce genre de procédé pousse le spectateur à faire attention aux détails et délaisse plus facilement le film par conséquent.


Mais Birdman ce n’est pas seulement un film technique, ça essaie de raconter plusieurs choses, une principale semble-t-il en tout cas. Et c’est peut-être son principal défaut. L’histoire qui en découle véritablement, c’est simplement un homme vivant dans le passé, incapable de s’ouvrir à la nouveauté et au futur. Il y a une forte propension à la critique intergénérationnelle ici. De nombreuses métaphores s’y prêtent d’ailleurs : le super-héros s’envole toujours plus haut tandis que Riggan reste sans arrêt cloué au sol ; il est en continuel conflit avec sa fille en partie au sujet des nouvelles technologies ; la majeure partie des dialogues rappelant ce conflit (ainsi que la rupture entre le faux et le vrai qui alimente encore le soucis de vivre avec son temps) ; la mise en scène en plan séquence qui démystifie tout et essaie de joindre le théâtre (art ancien) au cinéma (art nouveau) en passant par la case Super-héros (très à la mode en ce moment) ; ceci à travers des acteurs qui ont eux-mêmes incarnés des super-héros et dont certain (Keaton en particulier) peinent à se renouveler véritablement et enfin à travers son combat contre la critique qui ne finit par l’accepter que lorsqu’il parvient à oser quelques chose de nouveau. Sauf que voilà, ces diverses métaphores ne sont que différentes manière de nous expliquer la même chose, ce qui a tendance à rendre tout ceci légèrement frustrant.


Toujours est-il que cette production finit surestimée. La scène de fin jure avec le reste du film, non pas par son montage mais par sa narration. La fin ouverte proposée est totalement dénuée d’intérêt et de sens par rapport à tout le plan séquence précédent, comme si le réalisateur lui-même ne savait pas comment terminer son histoire, alors que couper quelques minutes avant ou à la fin de la scène précédente aurait pu suffire. Par ailleurs, s’il mérite l’Oscar du meilleur réalisateur et peut-être aussi celui du meilleur film (soyons fous), le meilleur scénario originale reste une sacrée idiotie et démontre que la supercherie à fonctionné. Birdman finit surestimé de tous, et malgré une performance non négligeable finit par provoquer une forme de rejet suite à sa surdistribution imposée et martelée qui déçoit forcément le spectateur après lui avoir survendu le film. Mais ce n’est pas grave, Avengers 2 s’occupera de le jeter aux oubliettes de l’année 2015, et s’il n’y arrive pas, Star Wars VII s’en chargera. Disney a volé l’oscar du Meilleur film d’animation deux années consécutives, ils arriveront forcément à voler également l’attention des spectateurs.

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le 18 juil. 2015

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Notry

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