Insatisfaits des résultats décevants de leurs derniers films, les exécutifs de Warner Bros. ont rasé la table de tout ce qui semblait poser problème dans leur Worlds of DC afin d'en améliorer la structure, à défaut de pouvoir en effacer les bases bancales. Tout ou presque.
Aussi étrange que cela puisse paraître, car l'univers nous réserve toujours des surprises, quelque chose a su se dépêtrer de ce qui est considéré à juste titre comme leur pire étron: Margot Robbie dans le rôle d'Harley Quinn dans Suicide Squad.
La figure n'en est pas à son coup d'essai. Ses succès critiques, sa notoriété publique et sa passion pour la personnage lui ont donné un poids suffisamment conséquent pour peser sur la balance commerciale, assez pour assurer un succès satisfaisant pour le peu qu'elle soit la tête d'affiche d'un film à plus petite ambition le temps de reprendre en mains les productions futures. Et cette image, le studio a bien l'intention d'en profiter.


Raison pour laquelle existe Birds of Prey. Né des boyaux de projets abandonnés basés sur les méchants DC Comics, cette production se revendique comme étant le film de Margot Robbie dans son rôle populaire. Il ne s'inscrit pas dans la tentative de lancer de nouveaux arcs scénaristiques ou d'en mettre plein la vue, il existe pour donner une vie au personnage. Tout le monde est gagnant dans cette stratégie. Le statut de film unique le dispensant d'ingérences d'univers partagé qui viendraient parasiter le processus créatif et un budget assez moindre pour ne pas risquer de pertes monumentales mais néanmoins suffisamment conséquent pour satisfaire les ambitions de la productrice (presque 100 millions), son visage et la promo - profitant à plein poumon du courant actuel - font le reste pour garantir des recettes et en prime, la suite de Suicide Squad voit son aura s'amplifier. Tout le monde est gagnant...surtout Margot Robbie mais beaucoup moins le spectateur.


Ce qui se voyait à des kilomètres à partir des bandes-annonces se confirme au visionnage. Les Birds of Prey ont beau avoir le rôle titre, elles ne sont que secondaires dans le film portant leur nom. La véritable star n'est nulle autre qu'Harley Quinn. Cette dernière amorce l'histoire, la conclue, la "rythme" de ses commentaires en voix off (qui n'a d'ailleurs aucune logique et s'avère même dispensable), c'est elle qui autorise les autres personnages à avoir droit à leur scène d'exposition et c'est sous son bon vouloir que le film peut s'interrompre pour revenir en arrière et ajouter plus de commentaires explicatifs avant d'enfin reprendre l'action là où elle a été laissée. La nuance entre apporter du dynamisme à l'histoire et prendre cette dernière en otage est très faible, car ses interventions portent constamment atteinte au rythme du film. Coupant ses moments clés dès qu'ils sont censés gagner en intensité pour êtres remis à plus tard, voire trop tard, quand le spectateur a déjà réservé son attention sur autre chose parce que la narratrice lui a dicté de suivre une autre ligne directrice. Ce parti-pris a beau trouver sa justification par l'assomption d'Harley de raconter sa propre histoire n'importe comment, il n'empêche que l'histoire est racontée n'importe comment. Et surtout, ces détours ne cachent pas la simplicité de l'ensemble.


Et si encore ils avaient pu êtres utiles. Tous ces allers-retours temporelles n'ont pour seul effet que d'équilibrer le temps de présence des autres héroïnes avec celle d'Harley, la faute à une très mauvaise écriture qui ne parvient pas à rendre subtil leur émancipation de la figure masculine et qui ne cherche même pas à camoufler leurs textes d'exposition forcées au sein des dialogues. Leur appui est d'ailleurs aussi transparent qu'on l'imaginais, ces dernières tournant en rond chacune de leur côté en attendant de rejoindre Harley pour le final (impliquant des retournements de caractères rappelant terriblement la scène du bar de Suicide Squad).
Aucun effort n'est fait pour cacher l'artificialité du cette réunion de guerrières. La prise de conscience de leur faiblesse censée les amener à faire équipe avec une psychopathe tueuse n'est jamais questionnée, comme si stopper le chef de la pègre cautionnait toute les actions répréhensibles du moment qu'il ait été un machiste dominant, le film triche avec le contexte pour faire avaler la soi-disant bonne foi des protagonistes.


(Harley se balade en plein jour dans les rues de Gotham sans être inquiétée. Tuer des chefs mafieux et attaquer seule un commissariat de police se fait sans la moindre suite).


Tout tourne autour de la liberté de la femme mais la femme ne se remet pas en question.


Sans doute dû au manque d'expérience des têtes pensantes du projet. A l'instar de Marvel, Warner pioche un petit réalisateur issu de Sundance afin d'y apporter la personnalité qui puisse propulser l'idée de base vers une exploitation intéressante. Une stratégie qui peut s'avérer payante dans un studio assez serein pour appuyer le manque d'expérience du directeur mais pas dans un studio en crise se cherchant encore un style.
A l'exception de deux ou trois tiques visibles, Cathy Yan semble effacée au sein d'une production tiraillée entre la volonté de Robbie d'accaparer l'oeuvre et celle de la production de sortir un film dans l'ère du temps. Ralentis gratuits, chansons populaires, personnages vides, sbires désarmés, montage de clip musical... Le résultat serait celui d'un Suicide Squad-bis si la photographie de Matthew Libatique ne rendait pas le visuel regardable. Le rated-R le différenciant de son prédécesseur ne justifie qu'une scène, tout est autant édulcoré qu'à l'accoutumé.


(L'attaque du commissariat aurait logiquement pu mener à quelque chose d'osé, mais la crainte d'écorner l'image juteuse de l'héroïne l'a remporté).


Impossible de dire si tout cela découle d'un travail initialement timoré ou d'une récidive de la part du studio. Des scènes montées n'importe comment jusqu'à d'autres dont on se demande l'utilité ou la provenance.


(La scène de music-hall inspiré Des Hommes préfèrent les Blondes n'a aucun semblant de justification. La famille écorchée par Black Mask, deux scènes dans deux flash-back différents pour ne mener à rien).


Pour autant, certains points tentent de se dépêtrer de cet ensemble feignant. Si Margot Robbie dévore le film, c'est bien parce qu'elle crève l'écran. L'actrice profite à fond de l'occasion qu'elle a de jouer le comportement déluré de son personnage, acceptable si on a fait le deuil de la tueuse auparavant promise et si on fait l'impasse qu'elle fait déjà le deuil de sa relation avec le Joker passée dix minutes. Et Ewan McGregor a beau n'avoir rien d'intimidant en Black Mask (des crises de calcaire et quelques punchlines macho pour résumer ses motivations), l'acteur a de quoi satisfaire sur un critère de cabotin.


Au final, Birds of Prey (et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn) est à la hauteur de la réputation qu'avait les films de l'écurie DC avant le léger regain de confiance de l'année précédente. Ennuyeux et n'attrapant aucune cible à force de les multiplier. Les raisons qui ont mené à son existence et leur inexpérience ont eu raison de la bonne volonté des talents qui y ont œuvré. Les années passent et l'amateurisme d'un studio qui gâchent le potentiel de ses icônes se confirme de plus en plus. Pour ce qui est d'avoir une bonne Harley Quinn en prises de vue réelle, il faudra probablement compter sur James Gunn. Pour imaginer une bonne histoire Birds of Prey, on peut toujours fantasmer le pilote de série raconté par Mia Wallace dans Pulp Fiction.

Housecoat
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le 6 févr. 2020

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