Le récit a bien des similitudes avec le sexe : les préliminaires rendent fou, l’acte lui-même est un élan vers un sommet sur lequel on se sent souvent bien seul.
Le pitch d’un film est une promesse souvent excitante, et c’est le cas ici : dix ans après la mort de son mari, la veuve sur le point de se remarier reçoit la visite d’un enfant de dix ans qui lui déclare être feu son mari, et lui demande de ne pas refaire sa vie.
Dès le départ, tout fonctionne. L’atmosphère policée et laiteuse des appartements huppés new-yorkais se voit investie d’un malaise guindé par l’irruption de cet enfant à qui on répond par des sourires embarrassés. La photographie accroit cette ambiance mortifère où les personnages semblent fusionner avec leur papier peint et n’être eux-mêmes que des spectres, dévorés par des conventions sociales et un statut auquel personne ne croit vraiment. Avec ses cheveux courts, Nicole Kidman n’a jamais paru aussi étrangère à la race humaine, et elle joue aussi bien que chez Kubrick, auquel le film doit d’ailleurs beaucoup. Travellings dans les couloirs feutrés, insistance sur les visages et rareté des mots, impuissants face aux enjeux émotionnels, luxuriance de la musique sont autant de citations qui traversent cette œuvre de jeunesse de Glazer qui n’a jamais caché son admiration pour le maitre. Difficile aussi de ne pas penser à Barry Lyndon lors de la scène de déchainement du second mari qui fesse l’enfant lors du concert, tant elle ressemble à celle qui marque le début de la fin pour Barry.
Film d’intérieurs, claustrophobe et anxiogène, Birth fonctionne sur son exploration singulière du deuil et des ravages d’un amour inconditionnel sur les rives de la pédophilie et de l’aliénation passionnelle, porté par l’interprétation intense de Kidman.
Ozon, de temps à autre, ose l’épure et les béances d’un scénario qui ne tenterait pas de tout expliquer : c’est le cas dans ses meilleurs films, « Sous le sable » et le mésestimé « Jeune et jolie ». On se prend à fantasmer sur ce qu’aurait donné la fin de Birth s’il en avait pris les commandes.
Car le dénouement a tout de la fausse couche ici, tentant maladroitement de rationaliser et tamiser l’épaisseur d’un mystère… Ici, Glazer, aidé par JC Carrère, délaisse tout ce qui faisait la saveur poisseuse et déroutante d’Eyes Wide Shut. On pourrait s’arrêter à cette dissonance finale, ou choisir de garder en mémoire toutes les promesses intenses des préliminaires pour y voir la maitrise de celui qui osera s’affranchir de la norme dans son opus suivant, dix ans plus tard, Under the Skin*.
* http://www.senscritique.com/film/Under_the_Skin/critique/33243490