Birth
6.8
Birth

Film de Jonathan Glazer (2004)

Je suis satisfait.
Je viens de tomber sur un film majeur des années 2000 hier soir. Un film qui vous fait changer vos tops 10 dans la demi-heure qui suit la projection. N’y allons pas par 4 chemins, Birth est une quasi perfection, un film magnifique qui tient sans aucun problème son statut de brique dans l’histoire du cinéma au même titre que « Vertigo » de Hitchock, « Viridiana » de Buñuel ou « Les contrebandiers de Moonfleet » de Fritz Lang ; autant de films qui ont une parenté* désarmante avec le petit chef d’œuvre de Jonathan Glazer.

« Birth » se pitche hyper facilement : C’est l’histoire d’une nana, jeune veuve, qui rencontre un jour un petit garçon de 10 ans lui affirmant n’être autre que le mari décédé… Il y a 10 ans.

Ce principe de base se déroule quasiment sans surprises : amusement, déni, lutte, trouble, etc… Rien à attendre d’original de ce côté-là. En fait, c’est même complètement l’inverse, le réalisateur issu de la pub et du clip nous une narration d’un classicisme frondeur qui pourrait rappeler le nouvel Hollywood et des choix de grammaire simples et très efficaces.
Exemples :
- Les zones d’ombres sous le pont qui marquent le passage de vie à trépas.
- L’apparition de Nicole Kidmann dans un couloir, uniquement éclairée par les bougies du gâteau qu’elle transporte sous les yeux du petit garçon.
- Rythme général lent et élégant.

Une mise en scène à la fois hyper significative au sens classique (direction photo dictée par des nécessités symboliques) et pur qui constituent une parfaite digestion du drama Hollywoodien. Ainsi la résurrection étrange et dissonante de l’histoire (le même revient, mais différent et anachronique se retrouve à l’écran pour le spectateur qui a devant lui un théâtre qui ressemble à du Hitchcock ou du Mankiewicz mais qui est troué par certaines audaces plus contemporaines (le long plan fixe sur le visage de Nicole Kidmann qui pleure à l’opéra). Tout est de bon goût : photo, montage, musique et montage son...
Si on s’arrêtait là, on aurait un film à la James Gray bien ficelé sans plus.

Toute la beauté du travail de Glazer se révèle au compte-goutte, s’impose à chaque plan toujours plus. Le malaise commence de manière classique avec des silences dans les dialogues, des scènes générale de nuit avec éclairage d’intérieur teinté de jaune. Les personnages principaux sont issus de la classe bourgeoise New-Yorkaise et leur stature ainsi que les costumes créent déjà un pont avec quelque chose de mortuaire. Les sons sont assourdis par les tentures et la moquette, les corps figés dans leurs attitudes maniérées et engoncés dans des ensembles sombres. La morbidité du film ne vient pas tant des morts qui reviennent que des vivants qui semblent n’attendre que la mort.

Lorsque le mort revient, nous sommes alors dans cette zone chère à la fiction qui ouvre les possibles et ravive l’imaginaire. La résurrection de Birth, c’est justement la vie qui va lutter pour réintégrer l’image, l’amour d’un enfant qui vient concurrencer les projets de mariage administratifs des adultes (le mort ressuscité). La résurrection, c’est aussi l’inversion : la source même du fantastique, voire de l’horreur (« Le prince des ténèbres » de Carpenter à ce sujet est emblématique). L’inversion crée le malaise, l’inquiétante étrangeté pour le spectateur qui se trouve confronté à des incohérences malsaines :
- Le passage de la mort à la vie
- L’amour conjugal d’un enfant pour une femme
- La colère de l’adulte et le flegme de l’enfant
- Les pleurs des adultes contre le stoïcisme de l’enfant

Ainsi Glazer a mis en place son théâtre d’ombres décalées et l’histoire va suivre son chemin avec quelques scènes mémorables (la colère de l’amant, jaloux de l’enfant ; une scène de bain à la fois érotique et malaisante…). Tout ça pour arriver sur un dernier quart d’heure avec une sorte de twist qui en fait reboucle avec l’incipit mais d’une manière, il faut l’avouer, pas hyper claire ni adroite. Nous touchons là le seul défaut du film avec peut être aussi quelques petites lenteurs par endroits.

Ce twist, on s’en fiche un peu en fait. On s’en fiche par ce que ce qu’il révèle, le film nous l’avait déjà révélé. Une révélation au sens profond du terme. Il n’est donc pas besoin de spoiler pour expliquer que la raison d’être du film de Glazer, c’est l’exploration de la possibilité de l’amour inconditionnel.

L’amour inconditionnel dépasse toute condition, et pourtant il faut en explorer la possibilité pour pouvoir compter dessus.

L’amour des adultes est un amour de cadavre, un amour qui se dit avec le sourire avant d’aller à l’opéra, autour d’une table sous les yeux des patriarches. L’amour des adultes, c’est celui qui peut mentir, celui qui brise les apparences pour nourrir toujours plus l’autosatisfaction de chaque partenaire.

L’amour de Sean, le petit garçon, est un amour décidé, brûlant, un amour qui ouvre les portes et renverse les familles. Un amour si persuasif qu’il entraînera la femme avec lui. Un amour qui l’emprisonnera jusqu’au bout. On découvre alors que le vrai miracle du film n'est pas tant le retour des morts parmis des vivants bien ternes, mais l'émergence même de l'amour dans cet univers.

Dernière phase du processus : un personnage comprend que l’amour est avant tout un acte. L’acte d’un sujet. Certes l’existence de l’Amour nécessite de s’offrir totalement à l’autre mais elle nécessite également de renverser son propre principe de perception : ne pas nourrir l’amour de l’intérieur masi intégrer la perception de l’autre dans le rapport potentiellement amoureux.

Final : impossible de statuer sur la possibilité de l’amour inconditionnel pour cette fois. Mais le cinéma nous a donné l’envie d’y croire. Une foi.

Comme dans un Minelli, Nicole Kidman est la prisonnière des rêves de l’autre, que ce soit d’un enfant, de son amant, du fantôme de son mari. La réalité dans tout ça n’est qu’un fil qui ne compte plus. On ne s’échappe jamais totalement du rêve d’un autre.

* Vertigo : l'inquiétante étrangeté de celui-qui revient de la mort en étant le même... mais différent.
Les contrebandiers de Moonfleet : L'enfant qui trouve dans les entrailles de la Terre le secret du monde adulte
Bunuel : sexualisation de la situation, Jean claude Carrière au scenar, des décors intérieurs sombres et chargés de circonvolutions.
Dlra_Haou
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le 21 juil. 2014

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Martin ROMERIO

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