All boundaries are conventions waiting to be transcended.
Le cinéma des désormais frère et sœur Washowsky est un cinéma politique. Non pas un cinéma politique au sens militant ou revendicatif, mais justement il va chercher dans ses structures et sa forme même une façon de repositionner l'Homme dans le Monde.
Avec Cloud Atlas le projet est bien plus clair que les circonvolutions de la série des Matrix par exemple.
Présenté comme film monstre issu du réputé inadaptable « Cartographie des nuages », Cloud Atlas semblait être un retour en très grande pompe pour les réalisateurs dont la dernière production était elle même particulièrement humble (« Speed Racer » ; hallucination cinétique pour petits et grands).
Le résultat surprend au contraire par son absence d’ambages et construit gentiment 6 sketchs, liés entre eux à travers les personnages, l'espace et le temps. On pouvait attendre un projet pharaonique : à la fois film de SF, d'action, film historique ou romantique. Drôle même parfois. C'est là que les Washowsky, associés à Tom Twyker prennent le tournant inattendu :
Tout d'abord, ils cassent la structure hiérarchique et pyramidale du livre pour en faire un maelström organisé, organique même, où les articulations du récit ne sont plus portées par des conclusions mais par des enchaînements de mouvement ou d'émotion entre les personnages. Ce choix dont il a très peu été question est fondamental dans le cinéma des Washowsky et va rejoindre les autres grandes caractéristiques de Cloud Atlas. De même, il n'est pas question de dire comment s'est faite la relation entre les trois réalisateurs (le qui a fait quoi) même si on ne peut s'empêcher d'avoir par moment sa petite idée.
Le style, c'est l'Homme
L'autre choix est celui de varier les tons et donc les genres cinématographiques. Toute la question est donc pour les 3 réalisateurs d'adopter un style à la fois adéquat au genre traité (si on fait une comédie, il faut que le style et le rythme soient drôle) et en même temps qu'ils soient miscibles dans l'ensemble du film. La réalisation devient ici extrêmement belle lorsque la mise en scène ne sert donc non plus que le sketch lui-même mais aussi celui qui va le suivre. Nécessité d'autant plus importante qu'avec sa nouvelle architecture, le récit passe d'un sketch à l'autre toutes les 10 minutes !
Au final les segments sont tous plus ou moins dramatiques, sérieux, émouvants ou amusant mais ils ont tous en eux à la fois une force interne (on pense à la fin du sketchs comique qui se passe en maison de retraite de nos jours qui se révèle émouvant avec la libération de la parole du vieillard) qui elle même est redoublée en résonance avec les autres sketchs. Si les genres cinématograpiques invoqués sont correctement travaillés, c'est le style qui dépasse chaque genre et permet de rendre compte d'une oeuvre plus globale, de donner de la personnalité justement à une simple système de codes.
Pour soutenir ces récits, nous retrouvons un casting de grande classe ou tous les principaux protagonistes vont occuper 2 à 6 rôles différents au travers des récits et des époques... Mais aussi et surtout à travers les âges et les sexes ! Ainsi Hale Berry pourra jouer une superbe journaliste de 30 ans dans les années 1960, une quarantenaire blanche et froide dans les années 40 et une sorcière aux portes de la mort dans un futur incertain. Tom Hanks lui changera à plusieurs reprises de moumoutes et Mr Smith passera de tueur à gage à infirmière cruelle. Encore une fois, la rengaine assez simpliste du « tout est lié » / « battement d'aile du papillon » / "nous avons tous un destin commun" etc... trouve ici une concrétisation très forte : il n'est pas seulement question de responsabilité ici mais d'identité. En effet le film des Washowsky n'est pas un film de « collision des genres » comme on a pu le lire ici ou là mais justement un film lui-même transgenre.
L'idée même de genre est détruit à partir du moment où l'on voit ces successions de réincarnation ou ce n'est plus le genre des personnage (masculin / féminin par exemple) ou des récits mais le style qui les habite, les uni ou les désuni !
Des films construits sur des dispositifs précis pour dénoncer l'emprise du systématisme. Cette idée très forte est doublée enfin par un élan de révolte qui parcours Cloud Atlas comme il traversait Matrix, V pour Vendetta ou Speed Racers. L'esclave doit s'affranchir, le désargenté tuer son Chien de Garde, le clone renvoyer aux hommes leur cruauté, la journaliste lutter contre le conglomérat militaro industriel...
La violence faite à l'opprimé est toujours là : de l'esclave fouetté à la vision particulièrement horrible des corps de femmes démembrées dans une usine de recyclage des corps humains. Ici l'opprimé est désormais rejeté pour ce qu'il est physiquement : un sauvage, un nègre, une femme, un vieillard, un homosexuel, un objet.
Enfin, on retrouve le style politique de Tarantino : Tarantino a l'habitude de faire vivre ses arrières plans par une faune de second rôles, voir de figurants qui ont une place non seulement dans le cadre, mais qui bénéficient à chaque fois d'une attention particulière. On peut penser à la séquence de pôle dance dans « Boulevard de la mort » et on verra que la danseuse est au moins aussi importante dans la séquence que le peuple à l'arrière plan.
Dans Cloud Atlas, l’arrière plan est habité par le peuple, ces gens qui n'ont pas droit de représentation mais qui forment la masse qui finira par se révolter dans un bar écossais : des vieux, des femmes, des transsexuels...
All boundaries are conventions waiting to be transcended
Film résolument transgenre et post-humain donc, les Washowski renouvellent l'effet Matrix là où on ne les attendait pas : le cinéma et surtout la culture populaire connaissent désormais une nouvelle pierre sur laquelle bâtir.