Quatrième film du réalisateur français Etienne Faure, Bizarre est un film qui déroute. Prenant le point de vue d'un jeune français venu à New York du début à la fin, il est pourtant de langue anglaise et ne suit pas de ligne directrice claire. Le film joue d'ailleurs dès le départ sur l'ambiguité avec le documentaire, avec sa caméra portée "réaliste" et faisant s'adresser son personnage directement au spectateur ("si je parle anglais, c'est parce que le réalisateur me l'a demandé").
Ainsi, chaque scène garde le point de vue du jeune homme : quand il marche dans la rue, quand il découvre ce bar très étrange, quand il observe un plan à trois à travers l'embrasure d'une porte. Pourtant, il est loin d'être le personnage le plus intéressant le film (il parle peu, n'est jamais expressif), mais sert davantage de témoin à un monde fou, à une jeunesse en pleine liberté côtoyant les "freaks" de New York, ces artistes ou provocateurs que la société occulte car ils sont disgracieux. Le film se concentre donc beaucoup sur ce bar et les gens qui le peuplent, souvent avec un lyrisme très musical allant parfois jusqu'à la redondance il est vrai un peu lourde.
Ils sont "bizarres", mais pourtant la caméra ne les montre pas comme tels, aucun comportement extérieur haineux ne vient troubler ce spectacle étrange. Aucune discrimination n'est subie, et ce même si la majorité des personnages principaux sont homosexuels. Chaque corps, qu'il soit féminin ou masculin, gros ou mince, beau ou moche, est traité avec la même égalité, la même nudité dénuée de sensualité. Ce Bizarre ne fait pas l'apologie du bizarre, mais cherche davantage à déconstruire ce principe idiot de "normalité".
Car contrairement au récent Love de Gaspar Noé, il n'est pas tellement question ici de sensualité ni même d'amour. Les personnages dorment nus dans le même lit sans que le sexe soit sous-entendu, on ne les voit jamais s'embrasser malgré un voire deux couples, la sensualité habituelle du strip-tease est transformée en grotesque. Bien sûr, il y a de l'amour entre les personnages, mais celui-ci n'est jamais explicité ou en tout cas réciproque.
Dans la scène par exemple où le jeune trans avoue son amour à Maurice, on aurait pu s'attendre à deux choses : une réaction de rejet ou alors au contraire d'amour passionnel. Mais c'est une autre réaction qui vient, contemplative, commençant par un début de rejet mais se finissant par un baiser sur la joue. La tendresse supplante la passion, pour une relation émouvante entre les deux jeunes hommes qui se terminera de manière à la fois dramatique et paradoxalement douce-amère. C'est même on peut le dire le principal point fort de ce film.
Car il faut être honnête, le propos du film est subtil et se joue par petites touches, mais le film en lui-même est parfois obscur. Au-delà de la mise en scène des corps et des sentiments, l'esthétique et le montage du film sont pour le moins particuliers. Déjà, il n'y a pas vraiment de trame narrative précise : les personnages évoluent, des événements surviennent, mais les scènes s'enchaînent parfois sans but évident, se répètent, cherchent davantage à provoquer un sens émotionnel que narratif.
Souvent, le film use de montages musicaux, alternant entre soirées au bar et vie quotidienne de Maurice. Les fondus s'enchaînent, superposent deux ou trois images, donnant une atmosphère irréelle et fantasmagorique au film. Une sorte de rêve éveillé dans le royaume des "freaks", mais les rêves n'ont pas grand sens. Le son cache d'ailleurs régulièrement les dialogues des personnages, comme si ce qu'ils disaient étaient moins important que leur présence, leur échange en lui-même. Et puis viennent ces coupes brusques, régulières, sur Maurice marchant dans New York sans but et sans direction (allant à droite puis à gauche, marchant de jour puis de nuit). Finalement, le seul élément dont je ne parviens pas à trouver un sens, et que je trouve pour le coup superflu, ce sont ces passages en vue subjective et ralentie de la surface de l'eau sur les rives de la ville, qui n'auront aucune correspondance au cours du film.
En tout cas, Bizarre adopte une forme très libre et assez expérimentale, pour un fond parfois confus mais qui a le mérite de traiter de manière originale de sujets ou figurations qui le sont moins. Il rappelle d'ailleurs un peu Lost River, dans cette présentation d'une ville et d'un lieu obscur au sein de cette ville, sauf qu'ici le malsain est tourné en ridicule, à la rigolade. Avec des images certes moins belles, mais épousant une représentation moins icônographique, plus cachée.