Mon amour du plan-séquence ne date pas d'hier. Souvent virtuose, toujours impressionnant, c'est parmi ce que je trouve de plus beau au cinéma, par sa technique démonstrative certes mais surtout pour le rythme de la séquence, la sensation de proximité provoquée, la suffocation des esprits, l'extrême des émotions.
Les scènes en plan-séquences sont maintenant nombreuses, et même les films commencent à devenir assez présents. Même si j'adore le procédé, il ne faudrait pas non plus que cela se transforme en aimant à Oscars et démonstration prétentieuse de virtuosité (et là vous pensez sûrement que je fais référence à Birdman mais non, j'ai beaucoup aimé le film et pour d'autres raisons que la présence d'un faux plan-séquence).
Sauf que là est toute la différence avec Victoria : le film de Sebastian Schipper est un vrai plan-séquence. Pas de manipulation, le film a réellement été tourné en une seule fois (et au bout de seulement 3 essais !). Au-delà de la prouesse en terme d'organisation et de maîtrise technique que cela représente (2e film de l'histoire après L'arche Russe de Sokourov à ma connaissance à avoir été tourné comme cela, en tout cas de cette longueur de 2h20), le procédé pose de réelles questions de mise en scène qui ne sont pas là pour faire jolies : comment diriger ses acteurs ? Mener la tension dramatique ? Comment définir son récit, placé sous le joug de la chronologie très précise et en même temps de l'improvisation voire approximation inévitable ?
La véritable intelligence de Schipper est de placer ces questions sous le prisme de l'adolescence et ainsi d'allier parfaitement forme et fond : jusqu'au-boutisme de la psychologie adolescent et jusqu'au-boutisme du plan, hésitations de la drague et improvisations de l'acteur, travail sur la durée signifiant passage à l'âge adulte. D'ailleurs, cette métaphore est parfaitement symbolisée par le fait que le film commence la nuit et se termine le jour. Inconscience de la fête entraîne prise de conscience du drame. En soi, Victoria est l'inverse d'A bout de souffle sur la forme mais transmet la même idée du temps.
Par son procédé même, le film représente une nouvelle passerelle entre cinéma et théâtre par le jeu d'acteur : même idée de performance totale et communicative, de mise à nu sur la durée, d'émotions transfigurées. Ici, pas de coupes, pas de pauses, pas de nouveaux essais, l'acteur est livré à lui-même pendant 2h20. Cette mise en scène de l'acteur est d'autant plus juste qu'elle est par ailleurs couplée d'une tension par l'image renvoyant au huis clos. Un huis clos extérieur mais bien réel, la caméra slalomant entre les différents acteurs sans cesse, créant une suffocation ressentie par le spectateur et ne faisant que progresser. Le meilleur exemple en reste la scène dans la voiture, parfait contraire de celle dans Les fils de l'homme car ne montrant jamais l'extérieur de la voiture. La tension ne vient plus du cadre mais des dialogues des quatre jeunes et du "caché". De la même manière, lorsque les personnages
se font poursuivre par la police, il n'y a pas de contrechamp, les personnages qui restent en arrière font désormais parti du hors-champ, on apprend leur mort à la télévision.
Enfin, l'utilisation du plan-séquence a un réel intérêt dans la séduction naissante entre Victoria et Sonne, car pour la première fois il me semble dans une romance, le temps de la séduction est égale au temps du film. Y a-t-il du coup romance plus crédible et honnête que dans ce film ? Où les émotions et les réactions y sonneraient plus juste ? Je pense que non, même si le film en perd forcément légèrement en poésie.
Mais de toute façon, Victoria n'est pas tellement un film poétique (la tentative avec le rajout d'une musique extra-diégétique dans la deuxième scène de la boîte est assez raté), c'est un film brut et honnête, risqué et inégal, puissant dans sa mise en scène de la jeunesse et en même temps assez banal dans son récit. Même si le film ne m'a pas totalement bouleversé comme je l'espérais, il n'en reste pas moins une vraie proposition de cinéma, cohérente et qui mériterait de faire date dans l'histoire du cinéma contemporain.
Même si je lui en veux un peu d'avoir autant bouleversé ma copine.