Ce qui frappe d'abord dans "Black Book", c'est la densité de la narration et des personnages, d'un classicisme dont on aurait perdu la recette : on n'attendait pas le cérébral Verhoeven sur un tel scénario - remarquable -, ni sur la mise en scène aussi tranquillement spectaculaire de la résistance hollandaise à l'occupant nazi. Mais très vite, la magistrale duplicité dont Verhoeven a tiré son meilleur film hollywoodien ("Starship Troopers") pointe sous le vernis du film historique : personne n'est ce qu'il paraît, et la pourriture du monde est bien plus profonde que les manuels d'histoire ne le reconnaissent. Alors Verhoeven passera une fois encore pour un infâme provocateur, voire un fasciste (reproche habituel de ceux qui ne savent pas lire la complexité d'un film) : le chef de la Gestapo est un gentil, la libération "libère" les pires penchants de tous, etc. Verhoeven n'y va pas de main morte, et se permet en outre de pertinentes remarques sur l'actualité (de Abou Grail au conflit Palestinien).
Un second visionnage permet d'ailleurs au spectateur de mieux s'affranchir de l'aspect le plus provocateur d'un film qui n'est ici tendre ni avec ses compatriotes, ni avec les clichés habituels du cinéma "mainstream", pour se concentrer sur l'aspect follement romanesque des aventures de notre héroïne aussi déterminée que sexy : soit, encore une fois chez Verhoeven, un portrait de femme maître de son destin, en guerre contre le monde inhumain des hommes, interprété par une actrice belle et charismatique. "Black Book" peut alors se regarder aussi comme un formidable feuilleton rocambolesque, oscillant entre l'atrocité de l'Histoire (l'Holocauste, le vol obscène des biens des juifs, la complicité des peuples européens) et la brillance du divertissement. Mais, et c'est là tout le talent du "Hollandais Violent", "Black Book" n'est jamais obscène, simplement audacieux. [Critique écrite en 2006 et complétée en 2007, retouchée en 2016]