Un bon film parasité par les critères du MCU

Beaucoup ont crié au « meilleur film du MCU », d’autres comme étant l’un des meilleurs films de super-héros – si ce n’est le meilleur divertissement de ces dernières années. Comme peuvent en témoigner les recettes du titre au box-office mondial : à l’heure où son écrites ces lignes, le milliard de dollars est quasiment franchi, talonnant Captain America : Civil War de près. Même Christopher Nolan y met son grain de sel, annonçant lors d’une interview que le film se retrouvera aux Oscars de 2019, dans la catégorie Meilleur film. À l’instar de Wonder Woman, aurais-je loupé quelque chose ? Car me voilà dans un cas similaire que celui du film de Warner/DC Comics : un engouement de taille, des avis quasiment unanimes et pourtant, je me retrouve après le visionnage mitigé par ce que je viens de voir. Même la bande-annonce m’avait laissé indifférent au moment de sa diffusion, alors qu’elle semblait faire fureur sur les réseaux sociaux. L’incompréhension la plus totale ! Car de mon point de vue, Black Panther aurait pu être bien mieux qu’un divertissement de petite envergure, qui n’existe que grâce au message qu’il véhicule.


Ce message, commençons par cela justement ! La grande force de Black Panther, c’est le renouveau qu’il représente dans le cinéma hollywoodien. Dans la pop culture, même ! Celui qu’avait déjà entamé l’année dernière le réalisateur Jordan Peele avec son très bon Get Out : mettre en avant les Noirs dans un divertissement populaire. Depuis bien trop longtemps relégués au rang de second couteau et de comic relief (si ce n’est être les premières victimes dans une série B) avant de devenir vraiment principaux pour n'être que les portes-paroles d’inégalités et d’esclavagisme (c'est vraiment l'impression qui se dégage dans les derniers films américains), les personnes de couleur trouvent enfin l’occasion de se valoriser aux yeux d’un très large public. Et ce par le biais d’un genre de cinéma (grosse production, blockbuster) encore connu pour faire preuve par moment de « maladresses » à leur sujet. Black Panther rectifie amplement le tir en donnant les pleins pouvoirs à l’un d’entre eux, l’excellent réalisateur Ryan Coogler (Creed), qui a pu faire quasiment tout ce qu’il voulait pour proposer un blockbuster digne de ce nom. En mettant en avant des acteurs noirs « nouvelle génération » (autres que Morgan Freeman, Denzel Washington et Forest Whitaker, bien que celui-ci soit présent au casting), tous talentueux et ce sans exception (Chadwick Boseman, Michael B. Jordan, Lupita Nyong’o, Danai Gurira, Daniel Kaluuya, Letitia Wright…). C’est un vrai bonheur de les voir jouer, tant ils sont justes et bons dans leur rôle respectif ! En mettant en avant la culture africaine comme rarement dans une telle production, celle-ci mise en image avec beaucoup de richesses visuelles (décors, costumes, accessoires) et sonores (la bande originale composée par Ludwig Göransson). En la révélant sur son plus beau jour, c’est-à-dire en dévoilant une culture puissante (ses forces armées, sa présence imposante, sa royauté), développée (ses véhicules, sa technologie.) et emplie de sagesse (sa politique, son respect des traditions, sa place au sein du monde dit civilisé). Bref, Black Panther, sur cette représentation, peut se vanter d’être un tournant marquant de l’histoire du cinéma.


D’autant plus qu’il est surprenant de voir à quel point un studio aussi commercial que Disney/Marvel ait laissé carte blanche à un réalisateur. Cela s’était vu avec James Gunn (Les Gardiens de la Galaxie) et Taika Waititi (Thor : Ragnarok). Maintenant, Ryan Coogler confirme ce fait et ce sur plusieurs points. La première chose étant bien évidemment la patte du réalisateur, visible à travers chaque pore de son film. Un constat inespéré qui lui a permis d’exprimer son intérêt pour les personnages, leur écriture (offrant un antagoniste réussi, le premier depuis bien longtemps dans le MCU) et l’interprétation des comédiens, qu’il dirige d’une main de maître (encore une fois, tous sont bons, mais j’avoue que mon cœur balance toujours autant pour Andy Serkis), étant tout simplement sans accroc. De faire un film un peu plus sérieux que la norme Marvel en y instaurant des thématiques telles que la politique pour sortir du lot. Offrant lors de certaines séquences une noblesse au métrage, un style à la limite du James Bond par moment. De mettre en valeur toute cette culture africaine comme évoquée dans le paragraphe précédent, afin de livrer la plus belle représentation du Wakanda qu’on aurait pu imaginer au cinéma. Sans aller plus loin dans l’argumentation, disons tout simplement qu’avec les libertés qui lui ont été données, Ryan Coogler a pu faire un blockbuster travaillé, intelligent, humain et important.


Mais pas complètement à sa guise sur quelques points… Car il ne faut pas oublier que Black Panther appartient au MCU. Une gigantesque fresque super-héroïque qui impose à ses nombreux films certains critères pour faire partie du club. Le film de Ryan Coogler n’échappe malheureusement pas à la règle, ce qui gâche tout l’impact qu’aurait dû avoir ce film sur moi et d’autres personnes qui m’ont exprimé leur déception à son égard. Par exemple, il est malheureux de voir que, malgré son parti pris d’être sérieux, Black Panther se doit de proposer des passages à la fois niais et humoristiques, dispensables, qui ne lui vont pas du tout. Ce qui fait tomber les gags bien souvent à plat et rend certains personnages balourds (principalement M’Baku). Et ce qui casse avant toute chose le rythme du film, perdant du coup en crédibilité et ampleur. Je dirai même qu’il gagne en banalité alors qu’il ne pouvait se permettre dans autant de facilités. Il est également dommage de constater qu’au beau milieu d’un très bon travail d’écriture, l’action semble vouloir prendre le dessus par moment alors que le réalisateur ne semble pas à l’aise avec. Et ce en dépit de très bonne idée de mise en scène (notamment le plan séquence au casino de Busan), ces séquences sont la plupart du temps illisibles à cause d’une caméra quelque peu hystérique et des effets numériques franchement laids pour une production de ce calibre (il y a quand même 200 millions de dollars à la clé !). La musique en fait également les frais, ne s’accordant pas à la plupart des scènes qu’elles accompagnent (alourdissant le spectacle). Et quand il faut se montrer spectaculaire parce que le cahier des charges le réclame, Ryan Coogler ne parvient pas à instaurer le côté épique idéal pour sa bataille finale.


Je pense que c’est ça qui m’a le plus dérangé dans Black Panther. En soi, je comprends très bien l’engouement autour du film, qui se présente comme un immense pas en avant pour la communauté noire d’avoir enfin la reconnaissance des grosses productions. D’avoir une œuvre qui la révèle sous son plus beau jour. Mais le film aurait été bien meilleur s’il ne faisait pas partie du MCU… Car en incorporant les critères propres à la franchise, le long-métrage acquiert quelques élans de banalités qui viennent tout gâcher et l'obligent à entrer de force dans un moule qui ne lui convient pas. Presque à dire qu’en termes de divertissement, Black Panther fait mal son boulot. Ou plutôt qu’il l’accomplit sans réellement se fouler une seule seconde. Sans ces fameux critères, il est quasiment sûr que le film de Ryan Coogler aurait eu une puissance bien plus démesurée. Mais qu’à cela ne tienne, la portée du message a un impact des plus fracassants, et c’est tout ce qui compte !


Critique sur le site https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/01/rattrapage-2018-black-panther.html

Critique lue 243 fois

3

D'autres avis sur Black Panther

Black Panther
Sergent_Pepper
7

Coming out of Africa

Alors qu’on n'attend plus rien du mastodonte Marvel, qui ne cesse de ronronner même dans les supposées nouveautés de sa franchise (les promesses non tenues du deuxième Gardiens de la Galaxie, la...

le 28 févr. 2018

92 j'aime

14

Black Panther
Yayap
3

Wakandon't

Après un cru 2017 plutôt satisfaisant, le Marvel Cinematic Universe continue son entreprise de suprématie absolue sur le genre superhéroïque au cinéma. Black Panther est le premier gros coup des...

le 6 mars 2018

73 j'aime

5

Black Panther
Behind_the_Mask
6

Je règle mon pas sur le pas de mon père

Ouvrant le bal super héroïque de l'année 2018, Black Panther devait représenter un nouveau départ, une réinvention de la Maison des Idées. Oui... Mais encore ? Une mise en avant du vocable...

le 14 févr. 2018

69 j'aime

25

Du même critique

Batman v Superman : L'Aube de la Justice
sebastiendecocq
8

Un coup dans l'eau pour la future Justice League

L’un des films (si ce n’est pas LE film) les plus attendus de l’année. Le blockbuster autour duquel il y a eu depuis plusieurs mois un engouement si énormissime que l’on n’arrêtait pas d’en entendre...

le 28 mars 2016

33 j'aime

1

Passengers
sebastiendecocq
5

Une rafraîchissante romance spatiale qui part à la dérive

Pour son premier long-métrage en langue anglophone (Imitation Game), Morten Tyldum était entré par la grande porte. Et pour cause, le cinéaste norvégien a su se faire remarquer par les studios...

le 29 déc. 2016

29 j'aime

La Fille du train
sebastiendecocq
4

Un sous-Gone Girl, faiblard et tape-à-l'oeil

L’adaptation du best-seller de Paula Hawkins, La fille du train, joue de malchance. En effet, le film sort en même temps qu’Inferno (à quelques jours d’intervalles), un « Da Vinci Code 3 » qui attire...

le 28 oct. 2016

28 j'aime

4