Entrez une description du lien iciBlack Stone est un film coréen réalisé par Gyeong-Tae Roh. Son originalité et sa réussite tiennent à un passage à la fois à un passage poignant, juste et habile d’un contexte réaliste à un contexte fantastique au moment où ce contexte devient invivable pour le protagoniste. A ce titre, le film rappelle un récit tel que Le songe d’un homme ridicule de Dostoïevski, par la rédemption particulière qu’il met en scène et qui passe par un état d’inconscience et la nécessité de mettre fin à une vie en la faisant sombrer dans le néant. Cette nécessité drastique s’explique par la violence de cette réalité devenue invivable pour voir ce qui ne s’y trouve pas et qui constitue en définitive la seule possibilité d’habitation de ce monde, au-delà de ses limites physiques, par une rédemption possible trouvée non dans la fiction mais dans une réalité supérieure existant au plus intime soi et oubliée dans le désespoir. Ainsi, c’est en voulant retourner au néant que tout sera rendu, alors même que tout semble perdu et dévasté.
Shon Sun est le fils adoptif d’un couple qui connaît bien des déboires et difficultés financières entre la maladie de la mère et son impossibilité à se soigner et la dévastation du père qui ne parvient manifestement même plus à se nourrir.Le couple travaille tant bien que mal dans une usine agro-alimentaire de Séoul sous la direction d’un patron véreux et sans pitié. Privée de traitement, la mère succombe bientôt à sa maladie tandis que Shon vit un calvaire à l’armée. Le film insiste d’ailleurs beaucoup sur les affections du corps en s’attachant à montrer la lutte de l’être-malade dans un milieu où le soin n’est pas accessible et le processus de déshumanisation qui accompagne cette absence. L’importance donnée à la maladie et à la dévastation du monde par la pollution donne lieu à une manière de filmer les choses très organiques qui rappelle les films d’Apichtapong Weerasethakul (duquel le réalisateur dit d’ailleurs être inspiré) par cette sensibilité à la texture des choses et la manière dont elles affectent le corps aussi bien en surface qu’en profondeur témoignant ainsi de la violence du monde, lui-même accidenté et en fuite, et la difficulté à s’y mouvoir.
On retrouve également la thématique bouddhiste du non-dualisme entre la vie et la mort avec une insistance marquée sur la souffrance de l’être-au-monde comme passage nécessaire pour unifier les deux aspects de la vie dans son sens le plus haut.
En ce sens, le trajet initiatique de Shon Sun, aussi terrible qu’il soit, n’en demeure pas moins sublime lorsqu’il est considéré dans son entièreté en tant qu’il est le témoignage d’une recherche de transfiguration de la vie dans la souffrance et la finitude. Ainsi, toutes les impossibilités auxquelles il se heurte : celle de trouver sa place à l’armée, d’être compris par les autres, le racisme envers son métissage, l’impossibilité à être entendu par son père dans l’expression de sa souffrance la plus intime (celui-ci ne fera que lui opposer la difficulté de sa propre vie) ne sont que des signes de la nécessité d’une unification qui est possible dans un interstice ouvert par le caractère insupportable d’une existence et la nécessité pressante d’une rédemption donnant lieu à cette expérience d’un au-delà du réel et le retour à la possibilité d’une vie, forte et rénovée parce que placée sous le signe de l’unité et de la réconciliation.