Au coeur, sans passer par la tête
Après une bonne nuit de sommeil (et des images me revenant sans cesse en tête), me voilà prêt à rédiger la critique de ce choc qu'a été pour moi hier soir la vision du dernier film d'Aronofsky.
Ma première réaction quand les lumières de la salle se sont rallumées a été : "Bon, maintenant, il va falloir essayer de bien le comprendre.". Quelques minutes ont suffit pour que je me dise que l'important n'était pas là... Aronofsky est un cinéaste des sens. The fountain avait déjà ce caractère atypique de la relative importance de la rationalité des choses. L'important est ailleurs...
Mais revenons justement à cette affaire de sensation. Le film se vit intensément. Quoi que l'on pense du message global du film, nous sommes tous forcés de reconnaître que le spectateur en prend plein la figure. Du début à la fin. Entre thriller psychologique tendu à la limite de l'épouvante, scènes de dialogues d'une intensité incroyable et immersion brutale dans le monde du ballet, Black Swan est un film-somme. On suit le parcours de Nina au plus près. Tout ce qu'elle ressent, on le ressent. La rivalité, l'angoisse de la réussite, la peur... L'expérience est éprouvante. Magnifiquement éprouvante. Car oui, chaque plan est une leçon de mise en scène. De la souffrance physique de toute danseuse à la chorégraphie des ballets, la réalisation est magistrale. La façon que la caméra a de suivre Nina de dos amplifie considérablement la proximité du spectateur. Une mise en scène toute sauf tape-à-l'oeil, magnifiant une histoire, qui, en d'autres mains, aurait pu être bien loin du choc vu hier...
Parce que choc il y a. Le propos du film est à mille facettes : perte de la virginité, passage à l'âge adulte, abandon de soi, sacrifice artistique ... Tout est ici ultra métaphorique, dans le but d'exprimer des idées bouleversantes. Qu'importe si nous sommes finalement incapables de discerner le vrai du faux, la tempête d'images et de sons à laquelle nous assistons nous va droit au coeur, sans passer par la tête. . Il y a du Lynch là-dedans.
Parlons-en, du son. Clint Mansell était déjà à mes yeux l'un des plus grands compositeurs de ces dernières années. Il le confirme encore ici. C'est d'ailleurs en écoutant la BO que j'écris cette critique. Ce que fait Mansell avec Le Lac des Cygnes est grandiose. Mais il n'y a pas que ça. Du début à la fin, la musique m'a pris aux tripes. Requiem for a dream et The fountain faisaient partie de mes bandes originales préférées. Celle-ci viendra compléter la liste.
Et que dire des acteurs ? Tout le monde a déjà dit beaucoup de choses sur l'interprétation de Natalie Portman. Et ils ont raison. L'Oscar est pour elle, ça ne fait aucun doute. Ce qu'elle fait est tout simplement impressionnant. Déjà dans la danse, on imagine l'entrainement qu'elle a du enduré. Mais ce qu'elle fait de son personnage à la fois fragile et prête à tout est éblouissant. Une véritable métamorphose d'actrice. Elle est véritablement le Cygne blanc et le Cygne noir. Face à elle, Mila Kunis et Winona Ryder interprètent parfaitement ses rivales, et que dire de Vincent Cassel, qui crève l'écran à chaque fois qu'il apparaît : on ressent toute l'influence qu'il peut avoir sur tous les personnages...
Au final, cet ensemble d'éléments ne peuvent amener qu'à la conclusion que j'ai eu affaire à un très grand film. Un chef d'oeuvre immédiat. Mais ce qui est le plus intéressant est sans doute la mise an abyme du propre travail du réalisateur : jusqu'ici, il avait peut-être cherché à tout maitriser, mais la perfection n'est pas la maitrise. Il faut apprendre à s'abandonner pour l'atteindre. C'est clairement ce qu'il fait avec son film: plus on approche de la fin, et plus la cohérence de l'ensemble nous frappe aux yeux. Au même titre qu'un certain film de Tarantino, la dernière réplique de Black Swan pourrait clairement être prononcée par le réalisateur. Oui, la perfection, on la sent...