Les détracteurs aiment à dire que Black Swan est un film too much, où tout est appuyé, sur-ligner, qu'il est trop démonstratif, sur-signifiant, que c'est un film qui en fait des tonnes pour arriver à ses fins. Que Darren Aronofksy ne fait preuve d'aucune subtilité. Et bien, messieurs (et mesdemoiselles) tout ceci est.... vrai.
Dire que Darren Aronofsky fait preuve de retenue relève clairement de la malhonnêteté ou de l'aveuglement. Il a d'ailleurs bâti sa réputation la dessus : sur son approche viscérale, qui interpelle, qui choque, qui secoue et qui te retourne le cerveau avant que tu ais pu t'en servir.
Oui, Black Swan est un pur film de Darren Aronofsky autant au niveau des thématiques (l'obsession, le destin, la souffrance) que de la mise en scène. Ici les effets chocs sont de sortie et ils frappent souvent et durement.
Plus encore que les plans ou les effets spéciaux c'est le montage qui impressionne, qui scotche et qui assomme.
Black Swan ne veut pas ouvrir un débat, Black Swan ne veut pas faire réfléchir sur la condition des danseuses étoiles, non... Black Swan veut prendre la tronche des gens et l'envoyer contre un mur, Black Swan veut attraper les tripes de l'audience pour les retourner, Black Swan ne te veux pas du bien, cher spectateur.
Que l'on adhère ou non à la démarche il est difficile de voir le film passivement, à un moment ou à un autre il finit par nous interpeller et nous maltraiter.
Il faut dire que le film est porté par deux piliers incroyablement solides.
Natalie Portman tout d'abord, qui est simplement incroyable dans la peau de ce frigidaire ambulant forcé de trouver la salope qui est en elle pour transcender son art et ainsi donner un sens à son existence (qui se résume à la danse). Fraîchement auréolée d'un Oscar qu'elle n'a vraiment pas volé, la jeune femme porte le film de bout en bout.
Piotr Ilitch Tchaïkovski ensuite dont les compositions se mêlent aux images de façon intense. D'ailleurs c'est presque dommage que Clint Mansell comble le reste du score avec d'autres compositions tant la musique de Tchaïkoski nous transporte.
Ces deux éléments couplés à La mise en scène "boum, dans ta gueule" d'Aronofsky offrent une vraie puissance émotionnelle au film.
Puisque le film s'articule autour du lac des signes le film mise à fond sur la dualité... sans doute trop tant les utilisations scénaristiques et symboliques de ce motif sont nombreuses (le parallèle oeuvre/vie, la rivalité dans la troupe, 90% des plans comportent un reflet/miroir, transformation kafkaïenne du corps, rapport mère-fille, rapport ancienne étoile du ballet-nouvelle étoile du ballet, navigation fantasme-réel, bichromie noire et blanche des décors, vêtements de Natalie Portman comparé au reste de la troupe, etc...) et finissent par un peu toutes se marcher dessus. Un Capharnaüm qui aurait sans doute gagné à être plus épuré pour être plus maîtrisé. Là le propos est répété, martelé sans cesse (on pourra aussi parler des bruitages d'ailes fréquents). Le but étant de nous étourdir, de nous retourner on peut dire que c'est tout de même réussit.
En revanche le personnage de la mère et ce qui s'y rapporte aurait vraiment mérité d'être allégé ou traiter moins frontalement. La chambre rose remplie de peluche, la mère qui se projette dans sa fille et l'étouffe, la masturbation qui échappe de peu au regard maternelle, etc.... Stop ! Le personnage de Natalie Portman a beau être une frustrée complète mais l'infantiliser de la sorte n'apporte rien et agace quelque peu.
Toutefois une mise en scène aussi obsessionnelle s'adapte bien à un sujet pareil et on a vraiment la sensation de glisser, nous aussi, dans les tréfonds de cette folle quête de perfection.
Car, une nouvelle fois, c'est là que Black Swan réussi pleinement son pari : nous embarquer dans la même spirale destructrice que ses personnages. Aronofsky n'a pas son pareil pour traduire les déchirements intérieurs en images. Dans une catharsis quasiment névrotique on vit le film avec les personnages. Bien sûr on pourra toujours regretter que le monde opaque de la danse ne soit qu'une toile de fond, bien sûr on pourra être chagriné par le trop plein d'effets (spéciaux, de style, de montage, de son, etc..) du film, bien sûr on pourra rester, légitimement, sur le bord de la route.
Mais pour peu qu'on accepte de mettre le doigt dans l'engrenage Black Swan offre un moment de cinéma intense, du genre qui touche et qui ébranle. Un film loin d'être parfait mais un film dont, assurément, on se souvient.