Black Swan est, à mon sens, un des plus beaux films de ces dernières années. Ceci étant dit, vous savez à quoi vous attendre.
Un élément mérite tout d'abord d'être salué à l'unanimité : la performance de Natalie Portman, qui pour le film n'a pas du apprendre à imiter une danseuse, elle a du DEVENIR une danseuse.
Jamais encore il ne m'a été donné d'observer un portrait plus empathique de perfectionnisme obsessionnel (mis à part, dans un autre registre, la performance de J.K Simmons dans Whiplash). Sa danse - certe pas non plus au niveau des ballerines du Bolchoï - est impressionnante de justesse, en particulier dans l'ouverture et la scène finale et justifie plus qu'à son tour des comparaisons avec la grandiose Moira Shearer dans The Red Shoes. Son Oscar de meilleure actrice dans un premier rôle est sans le moindre conteste le plus mérité depuis celui d'Hillary Swank (Million Dollar Baby) dans cette catégorie.
Parce que le personnage central est une ballerine, certains danseurs de ballet ont condamné le film comme une simple énumération de clichés sur le monde du ballet, et une diffamation sur leur profession.
Une telle réaction est compréhensible, mais il faut comprendre que le film ne traite pas du monde du ballet. Celui-çi n'est en réalité qu'un prétexte, un cadre dans lequel se développe le réel sujet du film : l'exploration intrinsèque du personnage de Nina Seyers, de ses problèmes psychologiques, de sa rivalité professionnelle et amoureuse avec Lily, de ses Mommy issues, de la libération de sa sensualité et bien d'autres choses encore.
Juger Black Swan sur son réalisme, c'est comme inviter les propriétaires de motel à juger si Psycho d'Alfred Hitchcock est un portrait précis de leur propre profession. Ce film n'est pas un documentaire sur les ballerines, pas plus qu'il ne se vend tel quel d'ailleurs. C'est une vue consciemment stylisée de l'obsession artistique et de la lente descente dans la folie de son personnage principal.
Le film le plus proche de celui-là n'a pas la moindre vocation à être Pina, Shadowland ou encore La Danse, le ballet de l'Opéra de Paris. Le chef d'oeuvre de Darren Aronofsky se compare bien plus volontier à Shutter island et à Fight Club, films traitants également de la folie par le prisme d'un individu.
Certain ont jugé le film mauvais car "hystérique".Etant donné qu'il s'agit du portrait d'une hystérique justement, Aronofsky ne peut en être que félicité.
Le film s'ouvre sur un rêve angoissant de son héroïne :
"I had the craziest dream last night about a girl who was turned into a swan", nous annonce Nina au début. Le film entier traite de ce cauchemar.
Comme dans le dernier film de Darren Aronofsky, The Wrestler, le personnage central souffre douleur physique intense pour plaire à un public. Mais est-ce le prix à payer, ou naît-il d'un besoin obsessionnel de l'automutilation?
En représentant brillamment l'obsession créatrice, et les exigences physiques et psychologiques écrasantes à la création et à l'interprétation artistique, Aronofsky rappelle à quiconque a déjà été pleinement engagé dans un projet artistique que le processus implique presque toujours un élément d'auto-torture.
Black Swan n'a jamais été destiné à être un film qui expose scandales sensationnels sur le monde cloîtrée du ballet ; c'est une évocation envoûtante éclairante de la quête de la perfection et le prix terrible qui doit parfois être payé pour l'atteindre (oui, je me répète, mais je veux vraiment faire passer le message).
J'espère avoir été compréhensible, et surtout, vous avoir donné envie de voir cette oeuvre grandiose !
Bisous bisous