Du plan fixe filmé s’échappe la notion du vrai et du faux : on plonge dans un univers où le rêve se mêle au réel. Dès lors, impossible de savoir si on a affaire à une fiction éventuelle. chose affirmée tout au long de l’histoire par une sorte de reflet vitré qui place le doute au sein du téléspectateur : regardons-nous à travers un filtre toutes les actions, ou n’est-ce la simplement une invitation à se complaire à la fiction ? Sans jamais y répondre, la rétine se fait à cette image « vitrifiée » jusqu’à presque l’oublier. Si le début du film est assez clair dans l’ensemble, au fur et à mesure de l’intrigue, les histoires s’entremêlent, les incohérences choisies sont de plus en plus restitués et nombreuses. Tout cela participe du style démonstratif du réalisateur qui se veut moins un pédagogue que simplement un photographe qui rend vie à ce microcosme chinois. En effet, le début du film s’ouvrant au sein d’un marché chinois, où l’héroïne se voit être connue de tout le monde. Outre une belle preuve d’assimilation, c’est aussi un moment de vie captée : allégresse des artisans, alacrité des odeurs qui se dégagent de la nourriture sinisante, et les lumières qui égayent les émotions. En outre, tout le film se déroule au sein de la nuit chinoise ; très peu de jour hormis en Afrique et dans le jardin du thé. L’esthétique sombre du film rend compte paradoxalement d’une intensité noire qui n’est pas oppressante mais, bien au contraire, chaleureuse. À l’inverse, la chaleur humaine dégagée des plans s’opposent à la lumière frappante des plans en Afrique où les goutes de sueur ruisselent presque sur ces peaux mattes. De même, la scène de mariage est étouffante, voire oppressive. Parce que le malaise se fait tout de suite ressentir par l’expression crispée des visages qui défluent devant nous. Puis les barreaux, comme une prison, qui sépare le devant de l’arrière de la salle. Enfin, au mariage d’un Chinois à une Cap verdienne ne lasse pas d’interroger : mariage forcé ou d’intérêt ? Sûrement. Pourtan, loin d’un cliché moralisant empli de pathos, la jeune mariée sourie et taquine son futur compagnon… Alors que le réalisateur ne se veut pas édifiant, on peut s’étonner de la fin de la scène qui dans un mouvement opposé se fait discret sur le renvoie des Africains, au travers de la radio, et d’un unique plan où les Africains sont empêchés d’entrer dans leur magasin. Mais tout au rebours, le propos militant léger d’une égalité entre individu se fait lourd , voire balourd, par le truchement du lieu commun d’un grand père raciste irraisonnable qu’essaye tant bien que mal de raisonner son petit fils. Hélas, est-ce un cliché voulu ou bien une grossièreté par la lourdeur du propos anti-raciste ? Une œuvre d’art n’est pas là pour démontrer de manière didactique une vérité quelconque. Bien mieux, elle se veut légère en morale, et, pourtant, intensément supérieure à une œuvre moralisante. Ici, le point qui pèche est cette moraline déversée sur le racisme envers les Africains qui n’est que ridicule au lieu d’être grandiose. Néanmoins, durant la même scène, ne remarque-t-on pas la présence édifiante de l’héroïne qui après s’être, peut-être, déplacée de sa chambre entonnerait un chant africain. Par là, c’est le message même d’un anti-racisme qui est rattrapé : on traite de manière esthétique un problème profond qui gangraine la société chinoise. Les lumières qui s’éteignent petit à petit durant le repas de famille pour finir dans l’obscurité nous subjugue et la vue laisse place à l’ouïe. Ce n’est plus la vue qui est sollicitée mais l’émotion du cœur au moyen d’un chant africain hypnotisant. Mutatis mutandis, c’est subrepticement que se profile une courte scène (euphémisme) homo-erotique entre la mère et l’héroïne, presque nue, les caresses s’arrêtent aux amandes des seins : voilà une image gratuit inattendue, qui brise l’ambiance presque sacrée du chant oriental.
En sus, le spectateur quelque peu attentif eût pu être décontenancé par le voyage initiatique du père qui va retrouver sa fille pour ses 20 ans : incongruité d’incohérence et facilité du scénario sont transgressées au profit d’une « happy end » amère (mais happy n’est ce pas…). Heureusement, et encore une fois, le spectateur est trompé, tout cela n’était qu’un rêve, qu’un songe. Au bonheur extrême d’une retrouvaille franchement parfaite (habit chinois, lieu exact de rdv, heure précise), le réalisateur se gausse de cet idéalisme, ce qu’il veut c’est jouer avec le réel : l’hyperbole qui confine à l’adynation n’est que chimère de bonheur. Honte à nous, spectateur, de ns y être pas plus aperçus ? Voilà plutôt le plaisir du cinéma qui prend plaisir à raconter des histoires, mais surtout, à simplement peindre, manifester, exhiber l’invisible. Car aller au cinéma ce n’est pas simplement « voir des histoires », c’est voir autre chose, c’est accepter qu’une histoire n’est pas une histoire comme on l’entend. En effet, est-il possible de réellement rendre compte de l’histoire que ns avons vue ? C’est l’expérience du visionnage qui est l’histoire autant que « l’histoire » même du film.
De même, la fin du film approchant, le réalisateur ne veut pas d’un fin convenue (de films hollywoodienns, par exemple). Mieux, il cherche à bafouer tous les repères temporels et scenaristiques quitte à perdre son public. Mais cette perte n’est pas sans gain, elle laisse place à une profusion de questions pendant et après le film. La fille de 20 ans existe-t-elle vraiment ou n’est ce que mensonge ? Pourquoi l’héroïne et l’ex femme sont habillées de la même manière pour que celle-là laisse sa place à celle-ci pour dîner avec le patron de la boutique de thé durant la dernière scène ? Qu’y a-t-il écrit sur le bout de papier qu’ils regardent en pleurant ? Finalement, y a-t-il eu mariage ou non ?
Le temps de l’histoire prend le temps de s’ancrer dans une vie quotidienne chinoise pour, au final, s’accélérer et transgresser toutes les connaissance préétablies auparavant. Dans ce dernier mouvement artisitique, c’est toute la force de ABERRAHMANE SISSAKO de faire avancer l’histoire en reculant sur tous les détails scenaristiques. Le film déboussole, et c’est bien le but. La vie de décontenance pas t’elle aussi ? Pour rendre au mieux les realia de la réalité, l’écrit ne suffit pas mais c’est l’image elle-même qui sert à éprouver ce qu’on ne peut expliquer.
Dans une autre optique, le noir de la fourmie détonne sur le blanc marital des habits de mariage, de même pour la lumière qui détonne sur la pénombre ambiante de la Chine. Le contraste est fort, et le symbole puissant : la lumière, au sein de l’ambiance feutrée du quartier chinois, ce sont les habitants même. Ce sont les sourires et les regards pleins de vie qui disent plus que tout la lumière vitale dans chaque individu. Bien qu’il soit dit que les Chinois « ne montrent pas leur émotion », au succession des plans se défilent les sentiments humains à mot couvert ou franchement démonstratif. Ne voit-on pas ces Africains danser, chanter et être gai dans le salon de coiffure ? Ou cette coiffeuse chinoise aux tresses colorées qui égaye ? Ou encore, la touchante histoire du policier allant par 3 fois chez le coiffeur chaque semaine ? Ce sont des destins différents qui se développent, se croisent, et se diffèrent : on ne veut pas exclure mais rendre compte le plus possible de la différence des uns et des autres.
De manière humoristique, ce n’est pas la liaison entre le patron du thé et l’héroïne qui est exhibée, mais cette subreptice scène entre l’ex femme du patron et l’héroïne. Un film banal, médiocre se serait contenté d’un baiser, ou de dévoiler une scène pour faire catleya. Cependant, loin de biscotter ou de s’adonner à la grande oie, c’est un plaisir quasi platonique qui passe par les scènes d’apprentissage de l’art du thé. Quoique le thème soit en fond, il n’est reste pas moins que le thé prend une coloration erotique qui s’intensifie jusqu’à ce que le fils s’aperçoive de la relation entre nos deux personnages. Le thé rassemble, le thé est un art. Aux travers des yeux, des paroles prononcées, se produisent un désir mutuel qui confine à une approche délicat comme le thé, et artistique comme la dégustation en 3 temps de cette boisson.