Depuis qu'il est capable de respirer, de marcher et de se servir correctement de ses deux pouces opposables, l'homme pose un regard sans cesse déformé sur son voisin animal, le voyant définitivement plus comme un outil à sa portée que comme un lointain confrère pourtant si proche génétiquement. Dès l'aube des temps, grâce à notre maîtrise partielle du feu et de notre environnement, nous avons domestiqué le loup pour le transformer, au fil des générations, en avatar soumis et fidèle, en compagnon canin nous vouant un culte loin d'être réciproque. Nous nous sommes servis de l'espèce animal pour nous nourrir, pour nous vêtir, pour travailler à notre place. Puis, pour expérimenter. Pour comprendre la vie dans toute sa nature insaisissable. Mais le pire fut à venir.

Non content de lui faire subir tous les outrages, toutes les souffrances inimaginables (la loi de la jungle et de la chaîne alimentaire, après tout), nous avons fini par faire de l'animal un outil de divertissement. Un produit manufacturable. Une marque. Nous avons pris la nature dans ce qu'elle a de plus pure, de plus honnête, et nous l'avons enfermé dans une boîte. Nous l'avons breveté. Nous avons passé le siècle écoulé à tout rendre mignon. A dénaturer les instincts les plus férocement encrés dans le seul but de vendre des peluches. Désormais, l'animal n'aura d'intérêt à nos yeux que s'il est capable de nous faire rêver. Ne serons sauvegardées sur cette planète que les espèces adorables, drôles, mignonnes. Protéger des saloperies d'arachnides venimeuses ? Et puis quoi encore ? Ne subsisterons que les dauphins, que les pandas, les bébés phoques et les chatons rigolos. Nous ne garderons que nos bouffons à poils ou à écailles dont les exploits finirons sur YouTube pour être likés par millions.

S'interrogeant sur le bienfondé de notre rapport à l'animal, sur la récupération commerciale d'espèces sauvages n'ayant rien demandé à personne, "Blackfish" fout en rogne et c'est tant mieux. Impossible d'en ressortir serein quant à la nature destructrice de l'homme, grand abruti bousillant tout ce qu'il touche. A travers le cas épineux d'une orque arrachée à son foyer naturel pour divertir les masses et ayant causé plusieurs incidents dramatiques, le film de Gabriela Cowperthwaite pose des questions passionnantes sans jamais prétendre apporter une quelconque solution. Doit-on définitivement mettre fin à ce genre de spectacles avilissants pour l'animal mais qui contribue tout de même à sa popularité, donc à sa sauvegarde ? Relâcher dans la nature un mammifère élevé pendant plus de vingt ans en captivité est-elle réellement une bonne idée ? Quelle est la part de responsabilité de chacun lorsque des drames surgissent ? L'animal est-il coupable d'obéir à ses propres instincts ? Peut-on domestiquer un tel prédateur ?

Si l'on pourra émettre quelques réserves sur la forme, proche d'un simple reportage, ainsi que sur l'apparente naïveté de certains intervenants (ah bon, c'est dangereux de bosser avec une orque de plusieurs tonnes ???) et sur une tendance à tout mettre sur le dos des mêmes personnes (bien qu'ayant énormément de sang sur les mains, Seaworld ne représente que la partie émergée de l'iceberg), "Blackfish" a le mérite d'ouvrir le débat sur un problème d'une extrême complexité. Et rien que pour ça, je lui tire mon chapeau, en souhaitant que l'on cessera un jour de voir nos cousins comme de simples peluches ambulantes mais bien comme des êtres humains à part entière, avec le respect qu'ils méritent.
Gand-Alf
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le 30 juin 2014

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Gand-Alf

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