Un tel sujet en or ne pouvait que tomber entre les mains de Spike Lee. Réalisateur engagé, qui traite assez souvent de sujets brûlants, celui de son film "BlacKkKlansman" se voit inscrit dans une lignée similaire.
Le scénario oscarisé -lors d’un moment d’euphorie pendant la cérémonie : véritable joie qui émane d’un Spike Lee récompensé par un Samuel L. Jackson tout autant heureux d'avoir récompensé son ami- est écrit avec beaucoup d’équilibre, afin de traiter ce sujet intriguant sur le papier mais expliqué avec beaucoup de solidité et de réussite dans ce long-métrage. Le message que veut faire passer le film n’est pas pris à la légère par le cinéaste. Lui qui veut et se doit de dénoncer toutes inégalités raciales et injustices, encore actuelles aujourd’hui, s'en donne à cœur joie pour effectuer cette tâche. Aussi bien qu’il ne se prive pas de tacler l’ère Trump et parler des tristes événements qui ont eu lieu à Charlottesville. Si la forme que prend le scénario est assez simple, dans la manière de construire le récit et de l’exposer, il n’en reste pas moins d’une efficacité redoutable.
Concernant la fin, de cette forme employée par le film, en découle un happy end que le cinéaste va vite tourner vers quelque chose de plus sombre. Ces dernières minutes font froid dans le dos, sensation voulue par le réalisateur. Quant aux images d’archives, elles montrent que ces attaques suprématistes blanches sont encore présentes à l’heure actuelle et c’est par un coup de massue que Spike Lee crie sa révolte à travers son œuvre.
En termes de film policier, le long-métrage est vraiment impeccable. Rapidement, le récit devient captivant. Cette enquête surréaliste est menée avec une maestria et viendra piocher des éléments pour agrémenter cela. En plus d’un genre du biopic respecté, c’est-à-dire expliqué la véritable histoire, ce qui est fait ici admirablement, les variations entre les différents tons et genres employés sont assez savoureux. En effet, le long-métrage touche pleinement le genre policier, voire thriller. La tension qui va avec est présente, l’atmosphère aussi. Cependant, le film sait se montrer comique et l’humour est parfaitement dosé, ainsi qu’équilibré dans l’ensemble. Le mélange est une vraie réussite, tout en sachant secouer les ressentis émotionnels du spectateur.
Mais derrière ses airs de comédie noire, qui pourrait ressembler à de la fiction, le film est glaçant par ce qu’il montre à l’écran et les propos abordés. Le film utilise un réalisme appuyé, et dépeint par une image brute, les Etats-Unis tels qu’ils sont. L’écriture dessine correctement la fragmentation sociale et les tensions raciales pendant les années 70 -tout en montrant que ce sujet est encore et toujours d’actualités-. Idée sur le papier surréaliste -un policier noir qui infiltre le Ku Klux Klan-, le réalisateur va vite détourner cela pour montrer les façons de penser et les idées, elles encore plus surréalistes, de ces suprématistes blancs. Le cinéaste va donc frapper extrêmement fort là où il faut. Parfois même, la violence sera davantage verbale que physique. Son récit est d’une grande intelligence, elle sait départager le bien du mal, évitant une certaine forme de manichéisme trop appuyé. Tout en sachant équilibrer l’écriture et le propos, le scénario de ce long-métrage est tout simplement brillant.
Le cinéaste Spike Lee signe également une très grande réalisation, inspirée, belle et classieuse. Il s’approprie totalement son récit, en mêlant le fond et la forme avec richesse et agilité. Ainsi, les mouvements des caméras sont d’une grande fluidité, élégants mais surtout d’une maîtrise marquante. Le montage apporte du rythme par sa rapidité, optant parfois pour des doubles écrans lors de certaines séquences, pour accentuer les émotions et ressentis des personnages. En plus d’être un bijou scénaristique, le long-métrage est une vraie réussite visuelle.
Avant c’était le père, maintenant au tour du fiston. Porté par le jeune mais prometteur John David Washington, le long-métrage s’accapare d’un vent de fraîcheur et de nouveauté vraiment savoureux. Le jeune acteur livre une prestation très juste, attire l’attention vers lui et se montre irréprochable à chaque scènes où il apparaît. Son acolyte Adam Driver suit une lignée similaire. Un jeu plus dans la retenue, les deux personnalités visibles à l’écran sont justes, maîtrisées par leur interprète et ensemble, forment un duo assez passionnant à suivre. Les seconds couteaux ne sont pas loin derrière. En effet, des autres policiers jusqu’aux membres de l’organisation -parfois clichés, mais cela s'intègre plutôt correctement dans le récit-, les acteurs campent leur personnage en y mettant les formes. Certaines prestations sont bâties sur une certaine forme de justesse, tandis que d’autres ne vantent pas la retenue, bien au contraire. Tout cela, en partie grâce à une direction d’acteurs sans faute du réalisateur.
C'est par un thème principal assez récurrent et une bande son vraiment prenante, que le long-métrage brille davantage. La musique apporte une dimension supplémentaire à l'oeuvre, une certaine démesuré et grandeur, tout en élevant ce récit pour qu'il soit plus impactant. La bande son de Terence Blanchard trouve ici une place de choix.
"BlacKkKlansman" est un très grand film. Une oeuvre puissante, intelligemment composée et menée par un grand Spike Lee qui dirige son film pour frapper fort et secouer. Il y parvient avec un brio constant. Ce film n'est pas seulement présent pour raconter une histoire vraie, mais aussi pour faire un doigt au président des Etats-Unis, ainsi qu'au racisme anti-noirs qui est encore présent dans ce pays. Le réalisateur signe un véritable coup de poing cinématographique.
9.5/10