Il devait rester quoi… dix minutes de film.
Ça faisait déjà un petit moment que je m’ennuyais face à ce « BlacKkKlansman » et que je cherchais à occuper mon esprit pour éviter de sombrer.
Ainsi, pendant que l’intrigue se déroulait péniblement jusqu’à sa conclusion, moi je pensais déjà à la critique que j’allais écrire. La note était déjà acquise depuis un certain temps : « deux petites étoiles ».
Deux étoiles pour un film qui met vingt-cinq minutes à amener ce moment où le héros prend contact avec le KKK, alors que c’est quand même le pitch du film. Une prise de contact qui, d’ailleurs, n’avait même pas besoin de vingt-cinq minutes d’introduction puisqu’elle tombe comme ça, comme un cheveu sur la soupe.
Deux étoiles pour un film qui se vend comme un film transgressif et corrosif mais qui n’est jamais capable, à un seul instant, de jouer d’un humour du décalage ou de l’absurde. Tout est très sérieux. Très démonstratif. Sans nuance.
Deux étoiles pour cette caricature poussée à l’extrême. Non pas que je prétende que des gusses pareils n’existent pas au KKK, mais quitte à nous présenter des buses, autant savoir en rire. Or là ce n’est pas le cas.
Deux étoiles pour toutes ces injonctions paradoxales tenues par le propos. D’un côté on a l’air de nous montrer au travers du parcours du héros que la solution est dans une sorte d’apaisement et de rapprochement mais où on ne cesse d’un autre côté de glorifier la figure de héros adeptes de la ségrégation pro-noire tels que Stokely Carmichael.
Deux étoiles pour cette démarche malsaine qui consiste à passer son temps à user d’un discours de combat avec toutes les bassesses rhétoriques que cela implique : indignation systématique par l’émotion, glorification d’un camp au détriment d’un autre, biaisement du regard permanent. Deux étoiles pour les raccourcis réguliers qui cherchent à confondre le Klan et l’Amérique pro-Trump. Encore une fois, loin de moi l’envie de défendre les pro-Trump, mais vouloir confondre les deux dans une lecture binaire en allant jusqu’à faire crier par tout le Klan « America First », moi ça m’horripile.
Deux étoiles pour tous ces personnages qui ne sont au final que de banales coquilles vides ; juste des réceptacles qui ne sont là que pour réciter ou incarner un discours…
Bref, deux étoiles pour un banal film militant bas du front qui n’a même pas su avoir l’intelligence de faire preuve d’ingéniosité et d’inspiration dans son intrigue tout comme dans sa forme.
En somme, un film bien plus proche du Spike Lee de « Malcolm X » ou de « Girl 6 » plutôt que de celui de « Do The Right Thing » ou d’« Inside Man ».
Mais ça, c’était dix minutes avant la fin du film.
Parce qu’il a fallu qu’entre temps je vois la conclusion de ce « BlacKkKlansman ».
Et là, de la lassitude et l’aigreur d’avoir assisté à un film bête et parfois malsain, je suis passé à une colère noire en assistant à cette pure démonstration d’instrumentalisation politique et de propagande dangereuse.
Après avoir bien chauffé à blanc le public pendant plus de deux heures, rappelant sans cesse les crimes, les injustices et les exactions, voilà que Spike Lee affiche sa cible et son champ de bataille. Charlotteville. Deux camps. D’un côté des bourreaux qui crient « l’Amérique est blanche » avec des drapeaux sudistes et nazis aux bras. De l’autre des victimes qui crient « l’Amérique est noire » (sic) et qu’on frappe injustement. Ils sont non-violents et ils subissent les exactions de l’ennemi. On passe et on repasse l’attaque de la voiture-bélier afin qu’on n’en rate rien. Il faut qu’on voie ces hommes et ces femmes qui crient, qui pleurent et qui saignent leur souffrance. Impuissants. Que faire pour eux ? Que nous invite à faire « BlacKkKlansman » quand après deux heures de militantisme de combat à peine noyé au milieu de quelques sous-entendus plus consensuels, il nous placarde cette violence là, encore à vif, qu’il conclut par – excusez du peu – une dédicace à la victime de l’attaque et le drapeau américain renversé qu’il vire progressivement au noir et blanc ? C’est quoi le message ? Qu’est-ce qui peut ressortir de bon d’une simple effusion d’émotion et d’indignation qu’on se décide de conclure par un étendard à la signification aussi ambiguë ? Alors OK, j’ai bien vu que Spike Lee n’était pas en train de chercher à nous rallier au New Black Panther Party en affichant le drapeau rouge noir et vert. Il ne s’agit pas de monter les noirs contre les blancs, mais par contre il y a encore ce discours binaire et martial. Il y a le camp du bien et le camp du mal. Certes on montre que des blancs peuvent rejoindre la cause des noirs (Flip, Jimmy ou bien encore la victime Heather Heyer), mais cela reste dans le discours la cause des noirs, et surtout cela reste une démarche de combat.
C’est tout le problème de ces sémantiques qui reposent sur de l’émotion plutôt que sur des raisonnements. L’émotion ce n’est bon que pour chauffer les foules avant de partir à l’assaut derrière une bannière. Si certains espéraient qu’au travers de ce film on les inviterait à déconstruire une vision ou bien à rire un bon coup, eh bah pour le coup c’est « niet ». On laisse les gens avec leur indignation. Qu’ils se démerdent avec ça ! A part crisper les positions et jeter de l’huile sur le feu, ça n’apporte rien.
C’est juste irresponsable.
Pire, c’est dangereux.
Et c’est donc pour cela qu’en fin de compte je me suis bouffé deux heures de presque-non-film ? C’est pour cela qu’on m’a brodé cette intrigue plate qui enchaîne des scènes aussi attendues que peu inspirées ?
Le but c’était juste que je me bouffe cinq minutes du discours de Stokely Carmichael sans broncher ? Et le tout avec ces incrustations ridicules de visages qui s’éveillent soudain face à la parole du saint homme en plus de cela ?
Le but c’était que j’assiste à cette opposition malsaine entre d’un côté l’indignation des noirs qui écoutent les massacres narrés par Harry Belafonte et de l’autre ces blancs racistes qui se délectent des chasses aux noirs magnifiées dans « The Birth of a Nation » ?
Eh bah désolé Spike, mais si tu avais fait des sciences sociales, tu aurais appris que les clips de propagande les plus efficaces sont ceux qui savent aller au plus direct, sans fioriture ni temps mort.
Alors la prochaine fois que tu veux nous vomir tes vieux relents de militantisme identitaire – s’il te plait fais moi plaisir : fais plus court. Comme ça au moins je ne perdrais pas mon temps à attendre vainement le cinéaste très inspiré que tu sais (as su) parfois être.
A bon entendeur j’espère…