Avec Blackkklansman, Spike Lee revient au coeur de la cause noire US qui lui est chère. Se servant d'un fait divers très romancé, il expose le vieux fond raciste de l’Amérique blanche sur lequel Trump a surfé pour se faire élire. Le lien avec l’actualité est pleinement assumé, parsemant des proto-slogans trumpistes dans la bouche du KKK, et surtout avec cette petite séquence de fin relatant les fameux « événements » de Charlottesville de 2017 avec des images d’amateurs. Pas franchement subtil —ce n’a jamais vraiment été la principale qualité de Lee—, mais efficace. Sur moi en tout cas, cette fin m’aura laissé un peu la rage au ventre. La galerie de personnages du KKK est également plus variée que ce que j’aurais pu croire, avec le politicien policé, le looser peu charismatique, le taré du bulbe, la femme qui cherche juste un sens à sa vie et le type juste trop idiot pour qu’on lui en veuille vraiment.
De l’autre côté du spectre, il met également très bien en scène les deux courants à vocation émancipatrice des noirs américains. Tout d’abord la tendance dure semi-révolutionnaire façon Black Panthers au travers de Patrice (Laura Harrier), et une tendance plus intégrée, plus « Martin Luther King » au travers du personnage principal, Ron Stallworth (John David Washington). Ce dernier a une position particulièrement délicate, prise entre le marteau et l’enclume de sa condition noire et de sa vocation de policier. À noter justement une représentation assez fine de la police, qui comporte son lot d’ordures racistes, de bon gars, et de types un peu entre les deux.
On pourrait par contre reprocher que Lee ne se mouille pas trop sur ses personnages, en particulier Ron et Patrice —et donc les courants qu’ils incarnent—, aucun d’eux n’évoluant d’un iota au cours de l’histoire. La fin particulièrement cynique, ou lucide, les renvoie quand même dos à dos. Les « révolutionnaires » n’auront finalement fait que discuter, et même si le policier aura obtenu sa petite victoire, les choses reviennent rapidement à leur état initial, et restent inchangées quarante ans plus tard.
D’un point de vue technique, on retrouve la grammaire cinématographique de Spike Lee, avec notamment son travelling signature, mieux maitrisée que dans Inside Man. Le film est présenté comme une comédie, ce que je n’ai pas ressenti un seul instant même s’il y a quelques moments drôles. Mais comme je ne m’attendais pas à une comédie de toute façon, je n’ai pas été déstabilisé, et en tant que thriller il fonctionne bien avec un rythme très correct. On pourra regretter malgré tout quelques facilités de scénario, comme la découverte du pot au roses par Felix ou l’arrestation du flic raciste, qui sortent de nulle part.
La galerie d’acteurs est au poil, avec un John Washington aussi doué que son papa Denzel, un Adam Driver que décidément j’aime beaucoup, et un Topher Grace très ressemblant au Grand Wizard David Dukes.
Bref, Blackkklansman est un thriller passionnant, bien réalisé et très bien interprété, et évidemment d’actualité. Ce n’est peut-être pas l’oeuvre la plus subtile sur le sujet des tensions raciales aux États-Unis, mais il vaut définitivement le détour.