Reprendre la légende de Butch Cassidy et le Kid en 2011 est déjà en soi un pari audacieux : le carton initial nous annonce ainsi que, contrairement à la légende, ceux qui sont morts sous les balles boliviennes n’étaient pas les héros éponymes. Des décennies après, nous retrouvons donc un Butch vieilli qui va contre son gré repartir à l’aventure après avoir rencontré un voleur qui, sur bien des points, lui rappelle sa prime et virevoltante jeunesse.
Blackthorn n’a aucunement la prétention de révolutionner le genre : cavalcades, braquage et gunfights auront droit de cité, tout comme cette éternelle question du rapport à la loi et la civilisation. C’est dans les nuances qu’il s’installe : géographique, d’abord, les paysages de la Bolivie étant honorés par une superbe photographie, puis une variation par la fuite du temps, un regard mélancolique posé sur une aventure révolue, et, surtout, sur les signes plutôt cyniques d’une nouvelle époque. La sédentarité étant impossible pour la légende qu’on finit par reconnaitre, le mouvement est refréné de toute part : par le jeune importun, par la loi qui veut qu’on rende des comptes, et enfin par des souvenirs qui eux aussi entravent la sérénité.
Blackthorn est un film qui prend son temps, n’en déplaise à sa durée plutôt courte. Par le regard sur un corps qui souffre, par la gestion habile d’un récit qui navigue sur plusieurs époques, il offre une double dynamique permettant de solder les comptes : d’un passé douloureux, mais aussi de la lucidité à avoir sur une époque à laquelle on n’appartient plus. Le traitement du paysage, qui rappelle celui de Jeremiah Johnson, en atteste : les montagnes, l’aridité latine semblent les seuls éléments immuables qui puissent entrer en résonance avec le visage buriné de Sam Shepard, figure solitaire et mutique.
En tableaux fascinants sur la ligne de fuite de rails, une citerne ou la blancheur aveuglante d’un désert de sel, le film instaure son propre rythme, et accuse le passage du temps. La beauté n’appartient plus aux hommes, l’heure n’est plus à l’audace ou l’amour libre.
La convergence des deux récits achève en outre un regard pessimiste sur la légende de l’Ouest.
Le premier, celui sur le passé, atteste du douloureux sacrifice opéré par Butch, obligé au terme de sa fuite avec le Kid de l’achever, celui-ci n’étant pas en état de franchir les montagnes : c’est l’adieu à la jeunesse, un deuil dans la neige et les larmes.
Le second, sous la forme d’un retournement de situation, met à l’épreuve le spectateur et sa confrontation à la légende. La nouvelle génération, sous les traits du cambrioleur de la mine, a perdu tout code, puisqu’elle est prête à voler le peuple lui-même. L’ennemi identifié au départ, un redoutable et notable gangster, n’est même plus de la partie : le « héros » n’est plus, puisqu’il est conjointement l’immoral, qui trompe la figure paternelle quant à ses motivations.
De ce fait, la double mise à mort qui clôt le récit sur deux temporalités parachève toute la mélancolie de ce chant du cygne : celle, empathique, de l’ami, et celle, amère, du traitre se répondent en écho, la seconde permettant une forme de réparation, de rédemption pour la première.
Le départ de Blackthorn dans une nature hostile établit définitivement sa solitude. Délaissé de son fardeau, il peut quitter le monde des hommes, portant sur lui un regard sans concession : la frontière inconnue du western n’est plus le signe d’un inconnu à conquérir, mais d’un refuge loin d’une civilisation dans laquelle rien ne semble pouvoir être sauvé.
(8.5/10)