Le défi que Dennis Villeneuve a dû relever est hors-norme. Réaliser une suite de film est une chose, réaliser la suite du chef-d'oeuvre de Ridley Scott en est une autre. Il est toujours plus facile de réaliser un sequel qu'un prequel, en effet, la saga Alien en est la preuve vivante. Les suites développent un univers en suivant la progression du personnage principal. Celles-ci peuvent s'avérer bien souvent inutiles, comme c'est le cas avec Alien: Resurection, suite correcte mais dont l’intérêt n'est plus à discuter tant il est largement admit qu'on aurait pu s'en passer. Réaliser un prequel est une autre gageure. Il faut à la fois trouver son sujet et sa légitimité au sein de l'univers global. Tout ceci risquant ainsi la création d'une genèse bancale, voire blasphématoire.


Ce n'est pas ce que le réalisateur québécois a décidé de faire. En situant l'histoire trente ans après les événements de la précédente, Villeneuve a su créer une suite cohérente à Blade Runner, avec ses personnages originels, notamment Rick Deckard mais aussi en introduisant de nouveaux personnages sans tomber dans le cliché. Cependant, la promotion du film a pu s'avérer "mensongère", car le rôle secondaire attribué à Harrison Ford ne représente pas son temps à l'écran même si le personnage reste central à l'histoire. Il est intéressant de noter que bien que Villeneuve ait Ford sous la main, le premier rôle ait été confié à Ryan Gosling et ceci nous a permis de découvrir un autre personnage et non pas de chercher à tout prix à étoffer la personnalité et l'histoire de Deckard.


Pour emprunter le vocable de notre réalisateur, cette critique va divulgâcher.


En ce qui concerne l'aspect narratif, le film est un miroir de son original. Alors que le premier jouait sur le doute existentiel quant à la nature de Deckard - car même si Scott l'a reconnu, l’ambiguïté intradiégétique subsiste - ce film retourne le problème en nous présentant un personnage dont on connait la nature - un réplicant - mais dont la quête sera de déterminer ce qu'il est réellement. A plusieurs reprises, le spectateur est convaincu que K est l'enfant de Deckard, tout comme K l'est lui même. Mais là où le film sort des sentiers battus, c'est que le héros du film n'est pas celui sur lequel la caméra s'est centrée parce qu'il sera l'enfant du couple Rick-Rachel. Non, K n'est personne. Et cette prise de conscience, pour lui comme pour le spectateur, sera d'une tristesse déchirante. K est haï par ses collègues "humains" (cf. skinjobs injustement traduit par "peau de robot"), il ne possède que peu de libre arbitre du fait qu'il soit un réplicant de nouvelle génération; en d'autres termes, obéissant; et sa seule raison d'être est de servir. C'est donc en toute logique que même si la possibilité qu'il soit un homme biologique le perturbe, elle serait pour lui salvatrice. Le désespoir de K est palpable jusqu'à la fin du film lorsqu'il subit deux épiphanies. La première est qu'il n'est pas le fils de Deckard mais un simple réplicant dont la mémoire a été corrompue pour brouiller les pistes de ceux qui pourraient ce mettre en chasse du véritable enfant de Deckard. La seconde concerne le fait que K n'a et ne connaîtra jamais l'amour. Bien qu'il "possède" Joi, une compagne hologramme, leur relation est unilatérale. Joi lui apporte de l'amour, une présence, une interlocutrice et de la compagnie, comme un animal domestique. K cependant semble indifférent à sa présence, comme une certaine lassitude. Et pour cause, Joi est un produit. K perd l'illusion que Joi lui avait offerte à plusieurs reprises. Il croyait en cette amour tout comme le spectatuer y croit, notamment lorsqu'elle le nomme Joe et lors de l'ultime "je t'aime". Le film transcende alors la barrière de l'intelligence artificielle, les limites auxquelles la science nous a habitué, à savoir: une machine ne créé pas, n'aime pas, ne ressent rien. Le film donnera raison à la croyance qui veut que l'intelligence artificielle reste un programme lorsque K erre sous la pluie, devant l'immense panneau publicitaire, où Joi, cette fois le produit, l'alpague et le tente, en l’appelant "Jojo". K réalise alors que celle par qui il avait cru être aimé n'était en fait qu'un trompe-l’œil, programmée à aimer, à dire ce qu'un homme voulait entendre, à paraître la plus honnête et transparente qui soit. K n'est donc ni un homme ni capable d'être aimé et ne possède pas l'exclusivité du surnom que Joi lui avait trouvé.


L'agent K n'est donc que le véhicule d'une histoire d'identité. Le film possède cette dimension humaine, qui consiste à savoir quel rôle chacun doit jouer et ce qui fait de nous un être-humain, ce qu'est un réplicant, et finalement définir le statut de l'enfant d'un (voire deux) réplicant. Ce lien à l'humain est respecté tout au long du film de par sa longueur. Car même si la durée du film a été un frein à son succès commercial, elle n'en reste pas moins une tentative audacieuse. Certaines scènes sont longues, mais ces scènes suivent l'humain dans sa progression et à son échelle, pas à pas. Car c'est aussi la force de ce film qui n'est pas un film d'action, bien que ceci pourrait être tentant vu qu'il s'agit de ce que le public chérit. Même si son père biologique le qualifie de "way too fucking long"*, on ne peut que saluer la prise de risque, même si Villeneuve reconnait que cette durée a été la cause de son relatif échec commercial. Car en effet, selon Premiere "le film n’a pas dépassé les 100 millions de dollars au box-office américain, alors que le budget de la production et du marketing avoisinait les 300 millions de dollars." Cependant, dans un entretien accordé au quotidien The Daily Telegraph, Villeneuve a annoncé que c'est grâce aux entrées européennes que le film a quasiment pu rembourser son coût initial. Et si, comme il le dit, “Europe saved my ass.”, il s'agit là d'une indication primordiale car le public européen, qu'on se le dise, est beaucoup plus exigeant que celui des Etats-Unis et si le film a connu un succès en Europe c'est bien parce ce film n'est pas un énième film de SF/action sans saveur, mais une oeuvre digne héritière de Blade Runner. Stanley Kubrick lui-même avait dit du public européen qu'il était plus intelligent que celui outre-Atlantique lorsqu'il était question du montage européen de The Shining, raboté de quelques minutes chez nous à des fins d'implicitation...


Le film souffre, malgré toutes ces éloges, de défauts caractéristiques d'un film à l'origine trop long. Les trois défauts majeurs selon moi sont: le personnage de Wallace, trop peu développé, manquant de background et maladroitement manichéen, deuxièmement Luv, personnage insipide dont la nature de réplicante n'est pas une excuse, puisque K, dans son impassibilité arrive à transmettre beaucoup plus d'émotions, d’intérêt et de compassion. Enfin, défaut délicat, Harrison Ford/Rick Deckard. À l'origine, Ford avait refusé de jouer dans cette suite, mais le scénario et l'équipe à la tête de ce projet ont fini par le convaincre. Cependant, le temps d'écran de ce dernier nécessitait-il un partage de l'affiche avec Ryan Goslin? Deckard est certes central à l'histoire mais une présence non-créditée aurait-elle été préférable? Aurait-elle été même possible? L'absence d'un tel nom sur l'affiche en aurait découragé plus d'un. Une autre solution aurait été de faire jouer Ford plus longtemps, mais l'opportunité de laisser K dérouler l'histoire et de ne faire intervenir Deckard qu'au troisième acte fut la bonne option.


Il fut un temps question d'envisager une suite, mais tout ce que l'on sait aujourd'hui c'est que Dennis Villeneuve ne reprendrait pas la tête d'un hypothétique futur projet de la sorte, qu'il juge trop risqué financièrement. Ce sequel, pour les curieux souhaitant étendre l'univers de Blade Runner, ne s'est pas véritablement inspiré de l'oeuvre de K. Dick Do Androids Dream of Electric Sheep?, mais plutôt de quelques éléments des romans de K. W. Jeter, ami de K. Dick, qui sont officiellement reconnus par ce dernier comme des suites officielles.


Ce Blade Runner est un film à voir absolument si l'on a aimé le précédent, mais aussi dans le cas où on ne l'a pas aimé, car les ingrédients sont bien différents et donne à ce second volet une identité propre.

AlexisVantilcke
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le 4 févr. 2018

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AlexisVantilcke

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