Le moment est venu, l’heure est arrivée. Redouté, attendu, espéré, Blade Runner 2049 est enfin arrivé dans les salles obscures françaises, et il déchaîne passions, joies et déceptions depuis maintenant dix jours. L’héritier de l’un des films les plus cultes de l’histoire du cinéma est venu se présenter avec un lourd fardeau et d’importantes promesses, qui ont su trouver crédit chez certains, mais pas chez d’autres. Pour ma part, ce film est une claque, que je suis allé voir deux fois au cinéma. J’ai choisi de laisser le temps au temps, et de revoir le film avant de mettre sur écrit ce que je pense du film et de ce qu’il engendre aujourd’hui comme réactions. Voici un cas assez fascinant à étudier, qu’il s’agisse du film en lui-même, que des retombées qu’il provoque.


Si ce n’est toi, c’est donc ton frère : Une postérité et un héritage lourds sous le signe de la nostalgie


Ce n’est pas la première fois qu’une suite de film est réalisée longtemps après son prédécesseur. Si la plupart des nouveaux films de franchises célèbres ont été réalisés sous forme de prequels, visant à compléter l’histoire déjà existante, moins courantes ont été les suites. Car une « préquelle » reprend les ingrédients déjà existants pour effectuer un retour en arrière et s’intéresser aux origines, ce qui est moins engageant aux yeux du spectateur qu’une suite, qui poursuit l’histoire que nous connaissons déjà, alors que nous avons déjà eu une fin et un dénouement en guise de conclusion. Nous avons constaté, par exemple, l’échec d’Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, sévère échec critique, trahison aux yeux de nombreux fans. En revanche, des films comme Mad Max : Fury Road montrent qu’il est possible de refaire vivre l’esprit d’une franchise à une époque tout à fait différente des films précédents.


Et c’est dans le même type de situation que se retrouve Blade Runner 2049. Le premier film avait essuyé un revers catastrophique au box-office à l’époque, et n’a obtenu sa réputation de film culte que l’on lui connaît que des années plus tard. Forcément, l’idée d’une suite en a effrayé plus d’un, surtout avec l’arrivée d’un nouveau réalisateur aux commandes. Denis Villeneuve, qui n’est pas n’importe qui et s’impose comme un des grands réalisateurs de notre époque, s’est vu confier cette tâche très lourde. Aujourd’hui, le film est en salles, et la plupart des avis négatifs que je lis à propos du film s’inscrivent dans une comparaison systématique avec le premier. Et c’est une terrible erreur de s’inscrire dans un tel biais, car malgré un univers commun et des intrigues liées, les films ne méritent pas d’être comparés. Non pas en termes de qualité, mais tout simplement en termes de démarche et de contexte.


Le même univers, mais deux films qui ne doivent pas être comparés


Blade Runner est sorti au début des années 80, et fut une petite révolution. Tout d’abord car il posa les jalons du sous-genre cyberpunk, et proposait une vision très esthétisée du futur. Ensuite, il faut rappeler que la décennie 80 succède à une décennie 70 où le cinéma était très viscéral et terre-à-terre, filmant les choses de manière brute, développant des thématiques tournant autour de problématiques très rationnelles. Ridley Scott, avec Alien, montrait déjà les premiers signes d’une décennie plus extravagante, où l’on se permet plus de choses, et où le concret se substitue à davantage d’imaginaire, ce qui se ressent parfaitement dans Blade Runner, qui devient ainsi un élément-clé d’une petite révolution cinématographique.


Blade Runner 2049 sort donc en 2017, une époque que l’on ne peut pas spécialement associer à un mouvement en particulier, si ce n’est que l’on peut constater une suprématie du « cinéma-divertissement » dans les salles. Ainsi, il semble difficile d’intégrer le film de Denis Villeneuve dans la même démarche que le film de Ridley Scott, dans le sens où Blade Runner gardera toujours une place particulière dans l’histoire du cinéma, qu’aucun autre film n’aura. C’est un avantage qui se double du fait qu’il a, depuis ces années, marqué toute une génération qui l’a découvert en salles à sa sortie, ou à sa réédition en 1992, et qui vivent aujourd’hui avec le souvenir très particulier que leur évoque ce film. Il semble, dès lors, relativement injuste de comparer d’égal à égal deux films aux contextes très différents, surtout que Blade Runner 2049 semble sciemment jouer avec les atouts de son époque pour tenter de réactualiser le mythe.


Un retour aux sources doublé d’une réactualisation de l’univers Blade Runner


Comme dit précédemment, Blade Runner 2049 est la suite du film de Ridley Scott. Nécessairement, cela impose de se raccrocher à des éléments-clés du film de 1982 afin de réintroduire le spectateur dans un univers qui lui est familier, et d’être en mesure de développer une nouvelle intrigue. Encore une fois, il ne s’agit pas de comparaison, mais de simples parallèles qui se manifestent sous la forme de similitudes entre les deux films, ou de références au premier. Ici, Denis Villeneuve ne perd pas de temps, en nous replongeant dans une Los Angeles du futur grise et morne, baignant dans la brume, et illuminée par d’innombrables affichages publicitaires. Si Villeneuve ne cherche pas à copier son prédécesseur, il met un point d’honneur à restituer le même univers avec autant de maîtrise sur le plan esthétique.


Au-delà de cela, il s’agit également de proposer un certain renouveau dans l’univers Blade Runner, qu’il s’agisse des moyens techniques utilisés, que de la représentation de ce futur dystopique. Si le monde est toujours autant écrasé sous les nombreux gratte-ciels, et si la société est toujours aussi impersonnelle et fragmentée, Blade Runner 2049 cherche à exploiter quelques autres problématiques du futur et du présent. La première est l’intelligence artificielle, représentée par l’hologramme JOI dont dispose K, dont la relation qu’elle entretient avec le personnage n’est pas sans rappeler celui de Scarlett Johansson dans l’excellent Her de Spike Jonze. Le film fait également allusion à l’évolution des technologies et des connaissances en termes d’écologie à travers les immenses champs de panneaux solaires et l’exploitation d’asticots dans de vastes cultures. On constate donc ici, qu’en plus d’apporter une suite à Blade Runner, le film de Denis Villeneuve a pour vocation de réactualiser son univers pour adresser des messages et arborer un style plus adaptés à la génération d’aujourd’hui.


La patte de Denis Villeneuve au service d’un film de science-fiction d’envergure


L’ouïe du nom de Denis Villeneuve aux commandes de Blade Runner 2049 avait de quoi rassurer. Après la réussite de Premier Contact, film de science-fiction lent, silencieux et profond, tous les indicateurs étaient au vert pour la suite du film de Ridley Scott. Ceux qui ont vu le précédent film de Villeneuve relèveront d’ailleurs très probablement quelques points de convergence entre les deux films, notamment une ambiance gris clair à la fois glaçante et rafraîchissante au début du film, et un travail très appuyé sur le son, avec une bande-son très minimaliste signée, entre autres, Hans Zimmer.


L’équipe formée par Denis Villeneuve et Roger Deakins, chef op de Blade Runner 2049 mais aussi de Blade Runner premier du nom, produit des résultats somptueux en termes d’esthétique pour proposer de superbes plans qui saisissent le spectateur, le plongeant dans une sorte de torpeur contemplative et hypnotique. La lenteur fait partie intégrante de ce film à la durée bien plus longue que la moyenne mais qui, pourtant, ne lui est pas préjudiciable. Les jeux de lumière et de couleurs enrichissent ce tableau à la fois effrayant et saisissant d’un futur fantasmé, grandiloquent et témoin de nombreuses catastrophes. Esthétiquement, Blade Runner 2049 est une belle claque qui m’a davantage saisi que le Dunkerque de Nolan, qui s’inscrivait dans une démarche similaire au niveau du travail de l’image et du son. Mais est-ce suffisant ?


Blade Runner 2049 : Une coquille vide ? Non.


Le grand danger de notre époque, c’est de mettre le spectacle en avant, de baigner dans les clichés, de suivre les codes et de ne pas chercher à apporter du fond aux films. Et, justement, la démarche de Denis Villeneuve dans la réactualisation de l’univers Blade Runner et son travail poussé sur l’image et le son pouvait faire craindre un manque au discours philosophique inhérent à Blade Runner. Car si le premier film était une fable très profonde, il semblait difficile d’imaginer qu’il en soit autrement pour son successeur, sinon il ne s’agirait que d’une simple coquille vide, certes belle, mais sans substance. Et, une nouvelle fois, le film est encore bien au-dessus de la moyenne actuelle à ce niveau. Tout d’abord, il propose une intrigue faussement lisible et linéaire, lui permettant d’esquiver de nombreux clichés dangereux. Ensuite, il puise dans le terreau du premier film pour, à nouveau, apporter des réflexions sur notre société et sur l’humanité en général.


Ici, la fable a également un aspect biblique, s’intéressant au rôle du messager, à ce qui constitue l’Homme, et avec une focalisation particulière sur la thématique de la création. D’où est issu l’Homme ? Qu’est-ce qui le caractérise en tant que tel ? Le film est une véritable quête aux réponses aux questions existentielles qui torturent l’humanité depuis des siècles, et auxquelles elle demeure soit indifférente, soit incapable de répondre. L’agent K se présente sous la forme d’un Prométhée du futur, sorti des rangs pour dédier son existence à une quête, et venu raviver la flamme chez les Hommes pour les ramener à la lumière. Deckard est ici presque élevé au rang de dieu vivant, lequel transgressa également les règles, et dont l’existence fut changée par sa rencontre avec Roy Batty, autre messager au rôle crucial.


L’excellence à défaut de la perfection


Blade Runner 2049 m’a certes impressionné sur un nombre de points, il n’en demeure cependant pas irréprochable. Si, à mes yeux, la liste de ses qualités est bien plus longue que la liste de ses défauts, il faut savoir être honnête. Là où le film montre quelques fébrilités et quelques signes de faiblesse, c’est dans le traitement des antagonistes. Wallace, grand manitou, successeur de Tyrell, est un personnage mystérieux, dont on ne connaît quasiment rien sur le passé, mais dans les ambitions restent également très (trop) floues. Abreuvant Luv, Deckard et le spectateur de discours philosophiques, il semble à la fois présenter son idéologie sans jamais ne rien dire, ce qui dessert sa capacité à offrir une confrontation intéressante avec ce qui est représenté par les autres personnages, notamment K, Deckard, Sapper Morton et les autres Replicants.


De même, Luv, le bras droit de Wallace, est un personnage qui contraste grandement avec le sérieux et la morosité ambiante de Blade Runner 2049. Son attitude, très déterminée, presque exagérée et cliché, font d’elle le personnage le plus caricatural du film, ce qui a tendance à jurer avec la démarche générale du film qui est, justement, de ne pas se laisser aller aux clichés. Il semblait, évidemment, difficile d’atteindre le degré de charisme d’un personnage comme celui de Roy Batty. Toutefois, ce petit manque empêche Blade Runner 2049 d’être la recette parfaite que l’on pourrait espérer. Mais, a contrario, il faut aussi relativiser et ne pas bouder son plaisir face à cette superbe fresque futuriste captivante et hypnotique.


Une claque esthétique qui hypnotise et ne laisse pas indifférent


Le défi était colossal pour Denis Villeneuve, et il est relevé. Sans jamais trahir l’univers Blade Runner, le réalisateur canadien boucle la boucle dans un film visuellement exceptionnel, capable de s’appuyer sur les points de réflexion soulevés par son prédécesseur pour les compléter et apporter une vision encore plus étoffée de l’humanité, de ses origines et de son futur. Nul doute que Blade Runner 2049 continuera à diviser, à osciller entre déceptions et adulation, mais c’est un film qui ne peut laisser indifférent, qui fait du bien à voir aujourd’hui, et qui, sans aucun doute, fait partie de mes films de l’année.


J’insiste encore sur le fait que Blade Runner 2049 ne doit pas souffrir injustement des comparaisons avec son prédécesseur. Il faut inscrire le film de Denis Villeneuve dans son époque pour constater qu’il s’agit avant tout d’une nouvelle preuve qu’un blockbuster peut être intelligent, qu’un film peut être impressionnant et faire réfléchir, et que c’est sous cet angle qu’il faut juger le film, pour ne pas tomber dans le piège d’une nostalgie morose et un brin aigrie. Ce n’était pas spécialement mieux avant, c’était juste différent.

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le 16 oct. 2017

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