Blade Ruinneur
Denis Villeneuve est un metteur en scène qu'on apprécie. Sicario, Enemy, Premier Contact... la plupart de ses œuvres sont puissantes, et on sait le bonhomme capable de mettre une beauté plastique...
le 4 oct. 2017
211 j'aime
40
Étrangement, Villeneuve sauve les meubles, alors qu'il était près de la catastrophe.
Cette critique s'inscrit dans une analyse globale des deux volets de cette "saga". Elle comporte tous les spoilers que l'on puisse imaginer. Maintenant, c'est dit. Ne venez pas jouer les vierges effarouchées.
Je ne parlerai pas de la forme, en tous cas des images. Ce Blade Runner 2049 est évidemment magnifique, l'atmosphère s'émancipe du bébé de Ridley Scott, sans renier sa filiation. On peut dire ce qu'on veut de Denis Villeneuve, il sait construire une esthétique.
Et nous avons seulement "frisé" la catastrophe, effectivement. Mais la tempête est tout de même passée, et elle a fait beaucoup de dégâts.
Ce qui faisait la grande force du premier Blade Runner était de mettre en scène un personnage banal, dans un monde pas banal.
Deckard n'était qu'un exécutant. C'était le bras armé de l’eugénisme, qui frappait les répliquants, individus artificiels, finissant par se considérer comme autre chose que de simples outils, mais bien comme des êtres munis d'émotions, et de sensibilité. Je ne vais pas m'attarder trois heures sur les questions philosophiques, je suis fatigué.
Ce qui est important à comprendre, c'est que dans le premier Blade Runner, Deckard n'est rien.
Il fait ce qu'on lui dit. Il ferme sa gueule. Il se pose des questions sur ce qu'il se passe. Il doute un peu, un chouïa. Mais il fait ce qu'on lui dit, jusqu'au bout.
A la fin, il ne tue pas Rachel, par attachement. Par les sentiments qu'il lui porte. Si c'est un répliquant, c'est parfait : lui aussi est doué d'empathie. Lui aussi a dépassé sa condition de robot. Dans tous les cas, ce n'est pas héros. Il n'entre pas dans la grande histoire. Il agit de façon impulsive, c'est vrai, il sort de sa condition, mais il ne fait rien de plus. Il n'existe pas.
C'est un blade runner comme un autre, et le monde continuera à tourner après lui. Voilà ce qui faisait la force du premier film, et l'atmosphère, la mise en scène, les couleurs, le rythme, tout ce qui en faisait une œuvre novatrice, sert en réalité la force de cette idée fascinante : un personnage ordinaire dans un monde extraordinaire.
Dans Blade Runner 2049, cette idée a disparue. Deckard n'est pas un personnage ordinaire, finalement, un simple répliquant docile, qui se surpasse malgré lui, en ayant des émotions. Non. C'est le créateur d'une race nouvelle. Adam, Jésus, ce que vous voulez.
Denis Villeneuve, en sous-entendant que la rencontre entre Deckard et Rachel était préméditée par Tyrell, piétine tout ce qui faisait de Blade Runner une œuvre remarquable. Maintenant, la donne a changée : on parle de révolution, d'agir pour la cause, de supporter les tortures, de mourir pour la condition "répliquant". N'importe quoi.
Bizarrement, ce blasphème est rattrapé par Villeneuve, dans un égoïsme inconscient, je crois.
Il est rattrapé par son personnage à lui, Joe.
Joe sait, au fond de lui même, qu'il a des émotions. Il sait être une victime. Il en souffre. Mais au fond de lui, il pense ne pas avoir d'âme : c'est le miroir de Deckard, qui a toujours cru être une vraie personne, alors qu'il était certainement un robot. Joe se sait artificiel, depuis toujours. Alors il vit comme tel.
Un jour, les événements le font douter de sa nature de répliquant comme les autres. Il lui fallait bien ça, à Joe : des preuves "scientifiques", pour susciter chez lui une rébellion mentale qui le mènerait à sortir de lui même. C'est-à-dire de ce que la société pense de lui.
Et puis un jour, il apprend que non, finalement. C'est un répliquant comme les autres. Une simple boite de conserve améliorée.
Alors, deux choix s'offrent à lui : rentrer dans le rang? c'est trop tard, il ne peut plus revenir en arrière. Embrasser la cause répliquants-maîtres-d'eux-mêmes ? Pourquoi pas.
Joe aurait pu le faire, en tuant Deckard, et la catastrophe aurait été totale. Villeneuve aurait piétiné l'ancien blade runner, et le nouveau. Mais par un habile et narcissique choix scénaristique, il redonne au contraire à son petit dernier, sa création à lui, Joe, sa petite boite de conserve améliorée, la force qu'avait Deckard dans le premier film de la saga : la banalité.
Joe n'est pas un héros, c'est un être normal, c'est un répliquant normal, dans le monde de Philip K. Dick : un être doué de sensibilité. Alors, il ne tue pas Deckard. Il prend un risque. Il met en danger la "cause", parce que ce n'est pas un révolutionnaire. Il sauve le vieux ex-blade runner, et l'emmène voir sa fille. Parce qu'il s'était projeté dans cette histoire de retrouvailles familiales. Parce que c'est tout ce qui lui restait à faire, par rapport à sa sensibilité propre d'individu égoïste.
Comme tout le monde.
En cela, Blade Runner 2049 est un objet curieux.
Cependant, je ne peux pas faire comme si Denis n'avait pas détruit cet univers, en insérant le premier film dans son ambition stupide de raconter l'histoire de personnages déterminants, qui font bouger les choses. On dirait un putain de remake des Fils de l'homme quoi.
Alors quoi, c'est quoi le prochain film ? La fille allumée de Deckard prend en main la rébellion, pour une guerre robot/humain, puis elle rencontre une résistance, menée par un certain John Conor, et voyant qu'elle n'arrive pas à bout de ce petit trou du cul, elle envoie un robot autrichien de deux mètres pour tuer sa mère dans le passé et gagner la guerre contre ce connard ?
Allez vous faire foutre.
Créée
le 10 oct. 2017
Critique lue 576 fois
3 j'aime
D'autres avis sur Blade Runner 2049
Denis Villeneuve est un metteur en scène qu'on apprécie. Sicario, Enemy, Premier Contact... la plupart de ses œuvres sont puissantes, et on sait le bonhomme capable de mettre une beauté plastique...
le 4 oct. 2017
211 j'aime
40
Pourquoi Blade Runner 2049 ? Cette question se posait à l'annonce d'une suite aussi intrigante qu'inquiétante et force est de constater qu'elle se pose encore aujourd'hui. La nouvelle création de...
Par
le 5 oct. 2017
167 j'aime
32
Pour ne pas être seul, on se réfugie dans une mégalopole techno. On vit les uns sur les autres dans des cités dortoirs. Et personne ne se connaît. Et les rues sont remplies, de gens qui baissent la...
le 4 oct. 2017
156 j'aime
35
Du même critique
Voyage au bout de la nuit est à la fois profondément révolutionnaire et profondément inutile. Lorsque j'ai découvert ce roman, l'année de sa sortie, écrit par un petit médecin de banlieue désabusé,...
le 13 déc. 2016
14 j'aime
8
Park Chan-wook récidive dans la médiocrité. 13 ans après un Old Boy frisant le ridicule, l'artiste sud-coréen s'obstine à proposer au monde sa petite (minuscule) idée de la vengeance. Évidemment, il...
le 11 déc. 2016
12 j'aime
4
Maintenant, tout le monde va devoir prendre ses responsabilités. Je le dis tout de suite : que personne ne me sorte l'argument crétin selon lequel la saga Star Wars est destinée aux enfants, ce qui...
le 14 déc. 2016
11 j'aime
15