C’est toujours un peu compliqué de voir un auteur prestigieux bosser pour une plateforme. Je me rend compte que je n’ai jamais réellement abordé la question en critique écrite, depuis pas mal de temps un vrai dilemme se créé dans les cercles cinéphiles, et même, j’ai l’impression, de plus en plus du côté du public général. Le premier point c’est qu’on est content de voir un metteur en scène réaliser une nouvelle œuvre, c’est bête dit comme ça, mais ça prend d’autant plus sens quand lesdites plateformes permettent à ces derniers d’enfin réaliser des projets auquel tous les autres studios classiques ont plus ou moins fermement dit « non » en raison des risques financiers plus ou moins évidents qu’éponge allègrement le streaming (m’enfin, en théorie) ; Netflix ayant lancé son secteur long-métrage avec la promesse de permettre une liberté totale à des metteurs en scène frustré par un système de plus en plus restrictif (dont Bong-Joon-Ho, David Fincher, Guillermo Del Toro, Romain Gavr… euh on va vite passer à la suite). Sauf que le deuxième point, c’est que derrière cette façade de moins en moins assumée, on sait aujourd’hui que ces metteurs en scène, aussi talentueux soient-ils, tendent au contrairement à la promesse de départ à accoucher de certains de leurs films les plus décevants, mal pensés et/ou tout simplement ratés. Mais aussi car ces derniers semblent de plus en plus mal accompagnés, et parfois, le manque d’un producteur efficace se fait ressentir, et ainsi, les carences d’une liaison entre les envies du metteur en scène et la réalité du tournage et du montage. Alors évidemment on voit émerger quelques propositions formellement incroyables, et qui pourraient justifier cette mouvance, mais à la longue, une certaine pénibilité se fait ressentir, et les efforts de ces diffuseurs 2.0 semblent de moins en moins visibles. On notera cependant une différente approche du côté d’Apple tv+, lancée au début de cette géniale décennie, se promettant comme le service de SVOD de luxe, misant plus sur la qualité de ses titres et artistes plutôt que la quantité ; tout en privilégiant des circuits salles, comme avec Killers of the flower moon ou Napoléon ; ainsi que Blitz, ayant obtenu deux jours d’avant-première exceptionnelle. Une aubaine pour un autre grand talent du cinéma hollywoodien contemporain, car après Martin Scorsese et Ridley Scott, c’est sur Steve McQueen que le studio à la pomme semble compter, notamment pour sa fameuse « course aux oscars », et qui a reçu le traitement spécial que je soulignais plus tôt. Est-ce mérité ou plutôt une autre déception, eh bien, une fois n’est pas coutume, un peu des deux.
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Il est déjà bon de rappeler d’où l’on vient avec Steve McQueen, metteur en scène britannique ayant tutoyé Hollywood par son mélange de maîtrise technique et esthétique indéniable, mais surtout son propos de plus en plus identifié et affirmé sur les diverses persécutions vécues par les communautés afro-américaines (ou dans le cas présent britannique) ; comme avec 12 years a slave, indéniable succès critique, surtout lors des diverses cérémonies de récompense telle que les Oscars. C’est avec ce film que le metteur en scène, déjà acclamé pour les exceptionnels Shame et Hunger se fait un nom à Hollywood et amorce une évolution de son cinéma centrée sur les violences, discriminations et autres injonctions contre les communautés afro-américaines ; à la manière d’un Spike Lee, bien que plus centré sur le Royaume-Unis. Que ce soit par la suite avec Les Veuves puis sa série Small Axe, le bonhomme a poursuivi sa ligne de mire jusque dans son récent et gros virage documentaire Occupied City, à la sortie malheureusement confidentielle (pour cause de durée monumentale). Un virage qui semble pour autant laisser des traces à ce Blitz, se déroulant en pleine seconde guerre mondiale, cette-fois dans un Royaume-Unis harcelé par des bombardements perpétrés par le régime nazi, de plus en plus répétés et destructeurs. Dans ce contexte de quasi catastrophe, une mère (interprétée par Saoirse Ronan) inscrit son enfant à un programme d’évacuation vers une campagne moins à risque (un peu comme dans le début de Narnia, oui la comparaison est valide) mais loin d’une mère protectrice, aimante et jusqu’alors inséparable ; ce qui va pousser l’enfant, dénommé Georges, à s’enfuir pour la retrouver. C’est un point de départ dense mais qui n’est pas de trop pour ce long-métrage historique qui met en avant l’une des qualités principale du cinéma de Steve McQueen, une qualité pas foncièrement visible au premier abord : la technique. Ce n’est plus un mystère depuis les plans-séquence bruts de décoffrage d’Hunger aux plus fixes d’un Shame jusqu’à la composition méticuleuse de 12 years a slave, le bonhomme sait mettre en scène, créer du bel ouvrage, oui, mais surtout un univers graphique dépassant la simplicité des histoires qu’il met en scène. C’est peut-être ce qui a poussé, ironiquement, Steve McQueen à passer par les plateformes, car son film est ambitieux, d’un budget semble-t-il conséquent, on ne peut que ressentir les moyens mis en œuvre pour des besoins de reconstruction, mais surtout d’une mise en scène forte et impactante, composée avec parcimonie pour donner le rendu le plus clinquant et puissance aux décors, lumières et personnages.
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Sauf que ce qui pourrait n’être qu’un simple appétit de technicien ou chef op prend une autre ampleur quand cette mise en scène est au service d’une note d’intention plus que perceptible, à savoir de raconter du mieux que possible cette histoire à hauteur d’enfant, en montrant l’immensité des paysages londoniens, le sentiment de menace face à des habitations en ruine jusqu’au vrombissement haletant d’un train à vapeur sans parler de certaines scènes de catastrophe toutes plus puissantes et d’autant plus haletantes par ce dispositif de mise en scène. Au-delà de la simple débauche technique, Steve McQueen réussit ainsi le pari de donner une incandescence émotionnelle dingue à son décor et ses péripéties, malgré la simplicité quasiment candide de son histoire, d’un enfant cherchant à retrouver au plus vite sa mère, ainsi que de cette dernière œuvrant dans une usine et participant à l’effort de guerre. De ces deux destins le metteur en scène sort cependant une évolution elle plus intéressante et profonde, une évolution de ces personnages œuvrant toujours pour leur but, oui, mais d’une autre manière, une qui les fait grandir ou entièrement prendre leurs responsabilités, donnant d’autant plus de substance et de poids à chacune des scènes au fur et à mesure que le récit avance. C’est le résultat selon moi réussi d’une écriture mais surtout ici mise en scène à quasi fleur de peau, qui rase la personnalité et le développement de chaque personnage pour offrir un vrai sentiment de crescendo émotionnel, jusqu’à la toute dernière scène, bien plus intime, moins percutante dans la forme, mais tout autant dans le fond, concluant alors parfaitement le récit et la logique de mise en scène de Steve McQueen sur le passage à l’âge adulte et des horreurs de la guerre, notamment. C’est d’autant plus chouette de voir pour ma part le réalisateur recentrer petit à petit son dispositif filmique, étant donné qu’en même temps de ces événements, l’ampleur sociale de Blitz évolue elle aussi, et au-delà de conter le destin de ces deux personnages, c’est de toute la ville et d’une classe prolétaire, de laissés pour comptes ou même de bourgeois dont le réalisateur fait le portrait ; et à fors-suris, d’une ville enclin à devoir faire ou non face à une catastrophe nommée le nazisme, révélant quoiqu’il en soit des inégalités sociales et des préjugés raciaux, ressurgissant à la lueur de la guerre. Un fond qui ressort encore une fois de scènes de grande ampleur ou au contraire plus intimes mais mises en scène avec une intelligence et parfois subtilité très appréciable ; détournant dès lors un énième rappel des horreurs perpétrés par le régime d’Hitler, à un constat plus universel et contemporain sur notre rapport à l’autre, au racisme et surtout à la violence morale et physique dans laquelle doivent encore se faufiler trop d’enfants au même titre que George.
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Je pourrais donc le dire, Blitz prouve que Steve McQueen n’a plus grand-chose à prouver en terme de mise en scène, même si par moments il semble plus préoccupé par la forme que le fond, il en reste que sa caméra immersive et son sens de l’émotion apportent une vraie densité à la plastique de l’image. Une vraie évolution voire aboutissement d’un point de vue d’ambition de mise en scène, mais qu’il faudrait dès à présent analyser d’un point de vue de scénario, d’écriture, et malheureusement, il semble il y avoir bien moins de choses particulièrement dithyrambiques à noter pour ce Blitz. Cette dernière n’est en rien indigente, certes, cependant la note d’intention en émanant semble être un boulet que se traîne constamment le film, qui semble parfois partir dans des directions trop didactiques et malheureusement tout à fait banales qui peuvent parfois entraver l’ampleur émotionnelle de son odyssée à hauteur d’enfant, apparaissant parfois moins naturel qu’escompté. A noter cependant que le discours est par moment assez intelligemment, ou du moins, sensiblement traité, surtout quand il reste du côté de Georges et qu’on voit comment le racisme déjà digéré par les plus jeunes pourrit la vie du garçon et le pousse à vivre ce voyage de tous les dangers ; apparaissant bien moins comme un coup de tête. C’est d’autant plus fort quand les rencontres se succèdent et qu’elles forgent la personnalité de l’enfant, créant ce sentiment de maturité, de passage à l’âge adulte, forçant surtout à briser une naïveté très vite annihilée lors d’un champ contrechamp entre lui et un autre jeunot que ceux qui ont vu le film ne devraient pas oublier de sitôt. Ce genre de moments coups de poings, parfois amenés avec une grande simplicité, arrive à parfaitement forger l’identité du personnage, son intérêt et même l’aspect « récit d’apprentissage » apparaît selon moi comme plus naturelle, mais pas moins programmatique. Arrive comme bien plus fracassant ledit boulet dont je parlais plus tôt, le manège de personnages qui déboulent les uns après les autres pour offrir au gré d’un dialogue ou d’un discours un chapitre supplémentaire dans le propos plus que marqué servis par Steve McQueen sur les discriminations raciales et sociales. Alors évidemment impossible de ne pas s’accorder avec le fond du discours, mais sa forme pose elle bien plus question tant elle alourdit tous les enjeux et personnages, semblant parfois n’être que fonction à un tract dont on peut légitimement avoir le sentiment de connaître toujours et encore les coutures.
Même lorsqu’un personnage semble prendre le contre-pied du (et ça me fait du mal de le dire comme ça) gentil noir contre les méchants blancs, il y a un revers qui le nuance, le met sur un piédestal moral plus profitable que les autres et ça diminue grandement la verve politique de Blitz. C’est un terrible acte manqué, et surtout un piège pour ma part évident mais dans lequel semble tomber Steve McQueen, d’une manière presque volontaire, étant donné que ce voyage à hauteur d’enfant peut revêtir une apparence naïve et candide bienvenue quitte à nuancer, pour moi, ces erreurs d’écriture. En revanche du côté de la mère, c’est malheureusement une autre histoire pour ma part, car si je n’en n’ai toujours pas parlé, c’est parce que je ne comprend avant tout pas pourquoi est-ce que ce point de vue existe ou du moins prend autant de place, n’étant en bout de course pas foncièrement nécessaire.
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Alors certes il est toujours nécessaire de remplir la pellicule du visage de la fantastique Saoirse Ronan qui illumine chaque scène de son talent irrévocable, oui, mais était-ce vraiment nécessaire pour allonger les poncifs du cinéma social britannique, que parfois même Ken Loach aurait trouvé trop niais ? Car la candeur de l’enfance se reflète plus difficilement avec un œil adulte, et le propos global de Blitz s’en voit terriblement entaché de la même manière que son écriture. Alors cela ne veut pas dire que les scènes en elle-même sont ratées, elles possèdent le même écrin visuel et le talent irrévocable de son actrice principales comme des autres comédien(ne)s. Mais tout de même, difficile de faire l’impasse par moments sur les raccourcis plus ou moins évidents que prend le metteur en scène ; encore que j’aurai peut-être pardonné ces scènes si elles ne construisaient pas le point de vue d’un personnage aussi passif, ne faisant strictement rien pour faire avancer l’intrigue jusqu’au dernier tiers, ce qui n’est pas difficile étant donné que l’information de la fugue ne lui a pas encore été remontée. Pourquoi ne pas en rester à ces quelques scènes de flashback déjà assez bien évocatrices d’une situation sociale que cherche à désespérément mettre en lumière le réalisateur et surtout le lien mère-fils à la fois d’une simplicité désarmante et en même temps entaché par un racisme ayant eu raison de la présence du père. Cela alourdit quoiqu’il en soit trop le discours et le scénario, un point sur lequel je peux volontiers fermer les yeux tant que la fluidité du récit, du rythme et du montage parvient à pallier ce problème et à créer des images prenantes et émotionnellement captivantes. Sauf qu’ici, c’est un détachement qui se créé que je ne peux nier, à mon grand désarroi. Or Steve McQueen n’y va pas avec le dos de la cuillère, et si sa démesure peut servir des scènes de catastrophe impressionnantes, des évolutions marquantes dans le caractère de ses personnages ou tout simplement dans la description de la société britannique (contemporaine ou de cette époque), cela fonctionne largement moins bien quand il s’agit de grands discours à l’idéologie très forcée. C’est surtout dommage quand ce-dit scénario est à ce point lui aussi forcé, car ces quasi caricatures que porte le film ne font que se relayer et faire avancer le propos du long-métrage mais surtout son histoire, d’une manière très pénible et qui rejoint mon ressenti sur les films de plateforme : le manque d’un médiateur pour pallier à ce genre d’énormités, qui finissent par alourdir un récit pourtant sur le papier passionnant mais qui perd petit à petit en surprise et teneur malgré une émotion toujours présente. C’est d’autant plus dommage pour un metteur en scène ayant toujours cherché à innover, ou du moins casser les codes de la narration Hollywoodienne très académique, notamment dans Shame, et si Steve McQueen a peut-être de nouveau cherché à faire évoluer sa formule, le résultat semble au contraire montrer une exploitation binaire de codes remâchés dont s’émanent par moments, que ce soit par la brutalité de plusieurs séquences (malgré un classement PG-13), des images d’archives de fleurs (rappelant la ségrégation ?) ou d’autres séquences plus oniriques, il en reste que ces petites touches singulières atteignent vite leur limite, à mon grand désarroi ; malgré une certaine efficacité, bien maigre compensation pour ma part. Alors on ne pourra pas nier le sentiment d’humanité et de sincérité qui émane de chaque personnage, tous par ailleurs merveilleusement incarnés (que ce soit par leurs acteurs ou l’équipe technique maquillage et costumes qui a encore une fois participé à créer une superbe reconstitution), mais cela ne suffit selon moi pas à cacher les énormes failles et fragilités induites par un discours lui-même trop simpliste voire factice pour certains malgré sa grande franchise.
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Blitz est une œuvre d’une qualité technique irréprochable, à la mise en scène puissante qui apporte une dimension tantôt épique et tragique au voyage de tous les dangers d’un enfant confronté à la violence du monde des adultes. Si le fond du film n’est pas entièrement à jeter, son développement frôle par moments la catastrophe et mine un scénario simple mais d’une lourdeur parfois très handicapante malgré une émotion toujours présente mais parfois un peu plus artificielle malgré un casting exceptionnel, apportant une candeur salvatrice à certains passages aussi bien suspendus dans le temps que ravageuses.