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Moi capitaine
7.2
Moi capitaine

Film de Matteo Garrone (2023)

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De l'autre côté de la méditerranée

Reparti applaudi du dernier festival de Venise, le grand Matteo Garrone est de retour sur un tout aussi grand écran. Auteur de films aussi rudes que poétiques, des mélanges des deux parfois pour ne pas dire souvent, il fait partit des auteurs les plus versatiles, imprévisibles, et pourtant complètement iconique du cinéma italien contemporain. Un pays, l’Italie qui a bien du mal à enterrer toute sa culture tant des auteurs toujours aussi captivants continuent d’alimenter les salles par des propositions passionnantes, singulières et surtout critiques de leur pays. Qu’il s’agisse de cinéma social rugueux et désespéré avec Dogman ou encore d’un conte plus ou moins morbide à la Tale of tales, le réalisateur arrive toujours à mélanger une technique rigoureuse avec un propos de fond tout aussi pertinent et très contemporain. Et justement, quoi de plus contemporain, dans l’ère du temps, que la question des migrants ? C’est cet événement autant politique que social qui intéresse Matteo Garrone avec Moi Capitaine, qui va suivre le récit de deux jeunes Sénégalais, Seydou et Moussa, qui décident de quitter leur pays pour l’Europe, pays où ambition et réussite sont apparemment monnaies-courante. Or, il n’est pas courant de voir qu’un réalisateur aussi attaché à son pays natal décide de poser sa caméra ailleurs, et surtout d’en épouser la culture et la langue, ça n’a rien d’anodin et au-delà de montrer la versatilité du-dit cinéaste, cela peut donner à voir un formidable enjeux esthétique ; autant en terme de renouvellement que d’adaptation.




Pourtant contrairement à ce que certains pourraient prétendre, il n’est pas illogique qu’un metteur en scène de la trempe de Matteo Garrone suive le parcours de ces deux personnages à ce point ancré dans une réalité à la fois sociale et historique. Sa carrière parle littéralement pour lui-même, et si certains pourraient le traiter (inconsciemment évidemment) de s’être gauchisé (une infamie hein), il dresse surtout avec son Moi Capitaine un film bien plus nuancé et surtout bien plus singulier que ce à quoi on pourrait s’attendre, bien que ça n’empêche selon moi pas le metteur en scène de tomber dans quelques conventions d’écriture. Pour cause, si on veut simplifier au maximum l’histoire de Moi Capitaine, on pourrait assez naïvement considérer que le tout n’est qu’un voyage d’un point A à un point B. Ce qui me gêne n’est pas cette bêtise qui résume le film à ce qu’il raconte en surface, mais bien la manière qu’à Matteo Garrone de reprendre une structure malgré tout assez éculée, qui saute aux yeux dès la lecture de la prémisse. Le problème c’est que plus que d’avoir une destination précise, la narration de Moi Capitaine est trop linéaire, pour ne pas dire trop attendu, manquant de surprendre et semblant compiler pas mal des épreuves plus ou moins éprouvantes qui composent ce chemin vers l’Italie. Or, là où le long-métrage m’a un peu déçu, c’est qu’en dehors de cette prémisse, il créé plusieurs sorties de routes et autres cassures qui donnent un vrai vent de fraîcheur à la thématique convoquée par le metteur en scène, mais qui m’ont souvent laissé un arrière-goût d’inachevé. Nous avons tous un portrait type du migrant, mais j’ai rarement vu un metteur en scène aussi bien dévier mes attentes à ce niveau, que ce soit par rapport à sa thématique ou à la simple caractérisation d’un personnage. Sans victimisation ou calomnie, Matteo Garrone dessine avant tout le portrait de deux jeunes rêveurs, qui voient cette route vers l’Europe comme une opportunité de vie, de carrière et surtout d’émancipation, alimentées par leur soif de découverte ou le miroir de fumée de leur smartphone. Ainsi, si la prémisse peut sembler clichée, le développement de nos deux protagonistes casse totalement les fils blancs qui composaient jusque-là le récit ; tout en recentrant le gros de son récit sur ces deux personnages, deux adolescents, mais surtout deux rêveurs loin d’imaginer la dangerosité ou l’immensité de leur voyage. Les 15 premières minutes du long-métrage sont ainsi avant tout destinées à caractériser ces deux idéalistes, sur le point de quitter le pourtant réconfortant cocon familial, faisant abstraction de tous les avertissements pour au contraire privilégier des biais de confirmation, qui jouent tant bien que mal avec l’omniscience du spectateur, qui voit plus que quiconque l’ironie s’installer petit à petit sur ces conseils plus spirituels que rationnels. Du spirituel engagé par un marabout, qui va petit à petit faire naître la seconde déviation de Moi Capitaine : un virage vers une odyssée épique à la lisière du fantastique.


En effet, au détour de deux des scènes les plus crève-cœur du long-métrage, le rêve prend le dessus pour cacher la terrible réalité, et permet notamment au personnage de Seydou de quitter un instant l’enfer de son voyage. Les visuels oniriques, aussi simples que grandioses, offrent des bulles de fausse légèreté qui ne font qu’aggraver le ressenti d’horreur sur le reste du long-métrage ; et surtout le retour à la réalité, en une coupe, qui met autant une droite au personnage principal qu’au psectateur. Cependant, ces deux scènes sont pour moi un peu une exception sur la globalité du long-métrage, qui sinon, enchaîne les étapes de ce long voyage d’une manière un peu trop mécanique à mon goût, qui manque de chaire et par dessus-tout de viscéralité. C’est un enfer que traversent nos deux personnages, un enfer qu’ils ont sous-estimé et qu’ils continuent de vivre de manière assez détaché pendant une bonne partie du métrage part leur caractérisation d’ado immatures ou au moins naïfs. Si le contraste est esthétiquement intéressant, il m’a paru au final assez mal digéré sur la globalité du long-métrage, car l’empathie que je ressentais envers ces deux amis était pour ma part assez faible dans ce mélange d’inconscience, de détermination, ou au contraire de regret et de sincère douleur. Surtout que le metteur en scène ne joue pas dans la facilité et refuse du mieux qu’il peut le misérabilisme, ne se concentrant pas plus que nécessaire sur les scènes d’horreur, assez pour esquisser l’humanité mise à rude épreuve de nos deux amis, ainsi que tout simplement, la rugosité de ce voyage. Disons que le partis pris thématique du film n’est pas aussi complémentaire qu’espéré avec le scénario pur et dur. Si Matteo Garrone densifie ces séquences attendus, je suis resté à la porte des fortes émotions qu’elles auraient pu me susciter, ce qui m’a gêné. Cependant, tout n’est pas noir sur ce point, bien au contraire. Car Moi Capitaine réussit tout de même à marquer par certains moments anthologiques, dignes d’une fresque épique, certes, mais aussi simplement empreints d’humanité. Le moment où Seydou annonce à demi-mot qu’il va partir à sa mère est franchement terrassant, car on voit bien que l’une est sincèrement inquiète pour son fils, qu’elle essaye de le remettre coûte que coûte dans le droit chemin, et que l’autre a déjà pris sa décision ; c’est littéralement un dialogue de sourd alimenté par l’omniscience du spectateur qui comprend ce qui se trame pour les personnages et le tragique qui va insuffler la suite du long-métrage. C’est justement là où Mateo Garrone frappe fort, très même, c’est qu’avec Moi Capitaine, il ne se contente pas d’un pamphlet politique dans la forme, mais compte sur l’intelligence de son spectateur afin de combler les trous, autant émotionnels que politiques, et rendre ce récit humain bien plus dense qu’un simple aller simple d’un point A à un point B. La dernière scène du film risque ironiquement de faire criser les plus militants d’entre nous, car le réalisateur s’arrête là où bon nombre de films sur le même sujet commencent, il fait passer cette fausse finalité comme un accomplissement à son personnage, qui n’enlève rien à l’amertume qu’on peut ressentir en connaissant la suite de cette fin pas si ouverte. Il en reste que dans sa globalité, certaines scènes manquent du sentiment d’horreur, de désarmement ou tout simplement d’affliction que j’étais venu chercher, car je suis resté par moment extérieur au long-métrage, mais il en reste que dans ses moments les plus intenses, il était difficile de nier que Moi Capitaine reste un coup de poing émotionnel.




Pour moi, il est peu dire qu’avec son dernier film, Mateo Garrone s’extirpe sans difficulté des stéréotypes et attendus sur le fond de sa dernière œuvre ; et même si sur le scénario pur et dur, le mélange des tons ne m’a pas paru abouti, sa manière de mettre en scène un tel récit reste en lui-même un bel exploit. Comme je l’ai souligné plus-haut, ce dernier accouche tour à tour de films à l’atmosphère très onirique, liées au conte, et d’autres bien plus crus et graves sur fond de drame social. Ici, il mélange ces deux approches pour un résultat aussi surprenant qu’impressionnant. J’ai déjà esquissé la question du fantastique dans Moi Capitaine, et la question de l’onirisme ne s’arrête pas là. Effectivement, comme sous-entendu plus-haut, Moi Capitaine est aussi une pure fresque épique voire un voyage initiatique digne de certaines épopées et mythes antiques. Matteo Garrone en reprend les codes plus ou moins éculés, se les réapproprie selon moi plus ou moins bien, mais insuffle à son récit réaliste ce sentiment de grandeur voire d’héroïsme pour créer un mélange ambiguë mais assez passionnant. Passionnant car le metteur en scène arrive à mélange des plans extrêmement sophistiqués, autant techniquement que visuellement, jouant autant sur le concept des scènes que ses décors parfois majestueux (notamment en plein Sahara), ou la musique grandiloquente. Avec cette ambition quasi blockbusteresque, Matteo Garrone infuse aussi des mouvements de caméra plus rudes, assez immersifs, donnant presque l’impression de voir un reportage, un extrait d’une réalité autant visuelle que mentale pour nos deux jeunes héros, et qui contraste avec l’épique d’autres séquences pour plus que jamais mettre une claque au spectateur. L’enchevêtrement de ces deux tonalités n’est pas qu’une simple question de stylisation, mais aussi de densifier l’apparente simplicité du long-métrage selon moi. Car, au-delà de son scénario par moments prévisible, le plus important n’est ni la destination, ni le voyage, mais bien l’expérience, la manière qu’on ces deux jeunes de subir les épreuves auxquels ils doivent se confronter, et par-dessus tout comment la question de survie passe aussi par leur intégrité morale et mentale. Une déchirure se créé, le regret d’avoir aussi stupidement quitté le cocon familial et le désir d’aller jusqu’au bout du voyage coûte que coûte. Voilà le genre de détail qui fait passer ce film de simpliste à complexe, une complexité qui ne m’a émotionnellement pas toujours emporté, mais qui en plus de rester appréciable, démontre le talent et l’imprévisibilité de Matteo Garrone, qui arrive dans sa mise en scène surprenante et variée à mélanger les tons et les audaces.


Comme je l’ai souligné plus haut, Moi Capitaine est pour ma part avant tout une odyssée initiatique, un film qui en dehors de sa mise en scène épique ou son propos âpre, parle d’un sujet ô combien commun que le passage à l’âge adulte. En partant de leur désir de quitter le cocon familial, de vivre une meilleure vie que celle à laquelle ils considèrent être destinés, mais leur approche assez naïve va très vite se heurter à la lourde réalité qu’ils avaient jusque-là tendrement esquivé. Entre le biais de confirmation que je citais plus haut, un passage dans un bus où ils sont les seuls à esquisser ne serait-ce qu’un sourire, jusqu’à l’entêtement de Seydou dans la traversée de la méditerranée en fin de métrage, comme la mise en scène de Garrone, il y a pour moi un contraste évident entre l’attitude de ces deux jeunes et l’enfer qu’ils traversent, une sorte de détachement qui les force pourtant petit à petit à prendre leurs responsabilités et leur vie en main. Parce qu’au-delà de parler de l’enfer du chemin migratoire, le metteur en scène utilise ce qui reste au final un prétexte pour filmer l’évolution de deux adolescents, qui dépassent leur propre désir de survie vers celui des membres de ce navire, pour les mener à bon port coûte que coûte. Deux fois le metteur en scène montre une journée passer sous forme d’ellipses temporelles, à un moment dans le désert, pour surligner la démesure du chemin, mais une autre fois sur le bateau, à l’arrêt, qui au-delà de créer un sentiment de suspens, permet de souligner la maturité de Seydou, qui risque la vie de toute l’embarcation pour mieux tous les sauver ; et le « Io Capitano » du titre apparaît comme une vraie délivrance, l’apogée du personnage, qui vient de prouver sa hargne et surtout sa nouvelle valeur. Tout cela, Matteo Garrone ne le fait pas passer que par le texte. Ces émotions, il les créé par le biais de son montage, qui vient par sa brutalité, son mélange de séquences longues ou d’autres resserrées, remettre à leur place les personnages, que ce soit dans l’immensité de ce désert que l’étouffement survenant sur le bateau. Mais surtout, pour ce que j’ai cité plus-haut, par le biais de ses comédiens, et en particulier son interprète principal… Seydou Sarr (curieuse coïncidence). Sauf dans cette scène finale apparaissant comme une apothéose grandiloquente, le comédien est surtout incroyable de pudeur, n’en faisant jamais trop, restant comme le reste du long-métrage, tout simplement authentique bien que dépassé par l’ampleur du voyage. Il transmet toute la caractérisation que j’ai pu cité plus-haut, de la culpabilité au courage, en passant par la bêtise ou l’effroi, ni la caméra de Matteo Garrone ou le comédien ne viennent entraver l’intensité ou la subtilité des nuances convoquées. Ainsi, plus que d’être simplement grandiose et magistrale, la mise en scène et le fond de Moi Capitaine sert surtout un portrait très intime d’un adolescent qui n’avait que comme seule boussole son rêve.




Pas mal de choses fonctionnement selon moi difficilement dans Moi Capitaine, en particulier dans sa narration, mais le tout forme selon moi une ambition palpable, technique certes, mais surtout esthétique, qui fascine autant qu’elle émeut avec des nuances inattendues mais appréciables. Porté par un interprète principal extraordinaire, mais surtout authentique dans sa dépiction de l’adolescence, qui incarne à la perfection un mélange d’effroi et d’ahurissement, qui est traduit par la mise en scène de Mateo Garrone, filmant autant la rugosité de ce voyage que son potentiel épique, en d’autres mots, du grand cinéma.

Vacherin Prod

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