Longlegs
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Longlegs

Film de Oz Perkins (2024)

C’est une petite habitude désormais sur ce compte, se lamenter des sorties horrifiques récentes, qui seraient sur un plan esthétique mais aussi comparatif des années passées, de moins grande qualité que leurs aînés. Il y a certes, un semblant de variété entre production pop corn et réalisation d’auteur qui persiste, mais qui n’engendre pas que des réussites, c’est le moins que l’on puisse dire. Si j’excepte le surprenant et viscéral When evil lurks, en retenant à la limite Immaculée, con comme la lune, pas objectivement réussi mais dans une logique de série B qui ne m’aura pas désappointé ; le reste fut, en moyenne lamentable, et pour des raisons parfois assez équivalentes. Entre les réalisateurs qui semblent ne pas assumer leur propos et leur concept, se limitant à une reproduction quasiment sénile des plus grands poncifs du cinéma de genre, mais surtout à des réalisateur qui semblent restreindre la viscéralité, la violence, le glauque et surtout l’horreur de leurs films… d’horreur ; à grand moyens de scénario qui n’avancent pas, d’édulcoration parfois abracadabrantesque et d’idées se limitant à une conception de court-métrage étiré. C’est dans cette période un peu morose pour le genre qu’en plein mois de janvier, la société de distribution Neon (aujourd’hui concurrent direct d’A24 sur le terrain de l’indépendant) commence à poster des teaser inquiétants, à la limite de l’expérimentation visuelle et sonore, se rattachant à la nouvelle réalisation d’Oz (ou Osgood) Perkins : Longlegs. La traque d’un mystérieux tueur en série mêlant occultisme et étrangeté promet un voyage du malaise, du glauque et du malsain, par le biais d’une mise en scène accrocheuse, d’une atmosphère putride et surtout de visuels cauchemardesques, mêlant différentes techniques de prise de vue. L’attente est dès lors complète, le pari fou ne peut que décevoir vu à quel point la barre est placée haute, et si Osgood Perkins ne répond pas à toutes les attentes, il accouche d’une œuvre hors normes, couillu, efficace et surtout extrêmement troublante.

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Mon esprit d’éternel insatisfait se doit de d’abord commencer par le gros point négatif de Longlegs, sa narration, dont le chapitrage n’est pas le problème absolu, mais duquel découle une limite malheureusement assez fâcheuse ; sa trop grosse linéarité. Vous me connaissez, ce n’est pas la linéarité d’un scénario quelconque qui en soit me dérange, non, ici le problème c’est que selon moi le mystère qu’essaye d’entretenir Longlegs, les coups de théâtre aux scènes d’enquête en elles-mêmes sont trop souvent gâchées par les actions des personnages, qui décèlent les clés de questions auxquels on commençait à peine à chercher la réponse. Si le talent est une des caractéristiques du personnage de Lee Harker, qui sera par ailleurs ensuite exploré, dans un premier temps au moins, le scénario pur et dur devient bien moins puissant et prenant qu’escompté ; ce qui pour un thriller est tout de même plutôt emmerdant. Car si l’intérêt premier de ce genre de scénario est, au final, de surtout de créer de l’émotion via la lente clarification et résolution dudit scénario que l’instauration d’un suspens, le manque de ce dernier empêche ici, surtout dans les scènes les plus fortes de créer une empathie totalement viable et imperfectible envers les personnages. Disons que par moments je me surprenais à rester totalement en froid de ce qu’il se passe, comme si certaines horreurs du film ne m’atteignaient pas. D’autant qu’à force de toujours laisser un coup d’avance à ses personnages plutôt qu’au réalisateur, les attendus, ou du moins, les ressorts et poncifs narratifs du thriller prennent plus de place en dépit de leur efficacité sur la forme. En revanche, l’extrême fluidité de Longlegs s’avère au moins être une qualité par rapport à son efficacité sur le pur plan du rythme ; pas une seconde d’ennui, un montage toujours efficace sans fioriture, qui a le mérite de ne pas nous laisser nous attarder sur ce genre de problème. Néanmoins, cette fluidité reste à double tranchant, car si elle donne une efficacité au long-métrage plus qu’appréciable, le revers est qu’elle ne laisse pas le temps au spectateur d’entièrement s’imprégner de cette atmosphère moite, si bien préparée, incarnée par un scénario retord et malsain qui perd énormément en perversité à partir du moment où les spectateurs ne sont que des témoins et non, comme c’est de coutume dans le monde du thriller psychologique, des acteurs actifs sur le métrage.

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Au-delà de sa simple efficacité qui reste un argument hautement subjectif ; étant donné qu’Osgood Perkins est en plus connu pour réaliser des films lents et qui ne jouent pas sur des effets de train fantôme à deux francs type Blumhouse, il y a dans Longlegs tout de même quelque chose d’inquiétant qui se dégage de l’ensemble du métrage, et qui converge en un trip horrifique glauque et malaisant. L’une des principales idées d’Osgood Perkins est selon moi le contexte de son film, qui a tout des stéréotypes des récits d’horrifique, prenant limite la suite d’un Stephen King. Les années 90, un petit village archétypal rempli de maisons de banlieue copiés-collées et de gens sans histoires, une enquête du FIB, le thème de l’anniversaire, etc. Tous ces éléments vu et revus dans de nombreux récits d’enquête, parfois à la frontière du paranormal, sont ici réutilisés et surtout pervertis par le réalisateur pour donner une allure familière au récit de Longlegs, duquel se dégage en réalité, petit à petit, une profonde singularité dans certains éléments narratifs et surtout, sur la manière qu’à le réalisateur de petit à petit défaire la stature de ces purs personnages et décors de cinéma ; alors broyés par la dimension fantastique et surtout horrifique du long-métrage. Là où le scénario pur et dur empreinte des chemins un peu trop balisés, il réussit dans le fond et le traitement de ses personnages à garder une réelle singularité tout du long, qui fait accroître le sentiment d’angoisse qui plane sur la plupart des scènes. Que ce soit par des images fortes et plus ou moins subtiles, comme la cellule familiale constamment broyée jusqu’à une scène finale étouffante, que la question de l’enquête même, qui tronque un scénario d’investigation à la Ringu, pour quelque chose de plus intime, plus sensitif et personnel pour le personnage de Lee Harker ; permettant en plus à Longlegs d’aménuiser son problème de narration en se recentrant enfin sur ses personnages, et donc sur l’empathie qu’on peut leur octroyer. Mais surtout, si la première moitié du film est malheureusement trop en pilote automatique, plus Longlegs avance, plus les clés qu’il offre par rapport au mystère qu’il met en scène participent à rendre le film malsain et glauque, et donc, horrifique. La question de la corruption, en particulier des thèmes et des figures liées à la vie de tout les jours, de l’enfance, de la famille et j’en passe, ici, le réalisateur ne fait pas que les détourner à un but horrifique, il les broie pour n’en retenir que noirceur, pessimisme et surtout toute l’hypocrisie d’un système social et culturel américain, en partie lié à la religion chrétienne. Car cela semble tellement évident qu’on pourrait le zapper, mais l’horreur de Longlegs réside dans sa manière de jouer avec les codes du satanisme, et donc par conséquent, de boucler la boucle du détournement de la culture américaine, en pervertissant la figure du christianisme, de laquelle ne se situe qu’effroi, autant dans l’iconographie que le fond du film.

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J’en parlais dans mon introduction, mais il est clair et net que ce qui a le plus marqué lors de la communication de Longlegs, c’est sans conteste ses visuels et son sens prononcé de la mise en scène. Bien que pour ses derniers films, Osgood Perkins a pu être qualifié de poseur, il a ici réussi à titiller la curiosité des internautes, même si comme pour son écriture, sa direction-artistique souffre d’une limite, cependant d’après moi moins gênante, à savoir sa gratuité. D’autant plus du fait que le film peine à entièrement instaurer l’atmosphère glauque espérée au tout départ, les idées de mise en scène crées par Osgood Perkins peuvent donner le sentiment d’être des tics de mise en scène, part notamment son utilisation du grand angle et de la courte focale, en jouant explicitement sur la déformation du cadre et des personnages. Et ce sans compter tous les interstices d’images et de sons glauques et évasives, entretenant autant que faire se peu mais de manière assez tapageuse l’atmosphère du film. C’est un problème dans le sens où la forme supplantant trop le fond du film, et Longlegs peut vite apparaître comme un film de petit malin, plus préoccupé à l’idée de montrer sa grosse caméra, que de servir par ce biais le fond de son long-métrage. Toutefois, petit à petit, un juste milieu arrive à être trouvé, entre inventivité, frissons et profondeur, car le film est certes linéaire dans ses intentions et son déroulé, mais laisse tout de même un flou sur ses personnages, jusqu’à la toute fin, qui m’a laissé un sentiment de malaise de part l’impression de ne pas tout comprendre et expliquer ; ce qui conserve un sentiment de mystère qui renforce le glauque du film. D’autant que le pari du réalisateur, est de petit à petit s’immiscer dans le chaos mental de sa protagoniste, dont on ne peut assimiler toutes les subtilités, mais qui permet de bien plus facilement et efficacement vivre certaines obscénités commises pendant le film. Parfois en flirtant avec l’irréel, et encore une fois, en corrompant les grands archétypes du genre, Longlegs finit par devenir un réel cauchemar, prenant de plus en plus à part le spectateur par son jusqu’au boutisme et sa violence avant tout psychologique, par le biais d’une imagerie (et non pas forcément d’images) violentes ; jouant sur le montage (et donc l’effet Kouletchov), la précision des cadres, l’ambiance sonore, l'utilisation des différents décors, de leurs matière aux éléments en passant par les ombres, le hors champ même, et autres processus esthétiques pour récompenser les plus attentifs et surtout sensibles à toutes les techniques qui compose un long-métrage ; tout en restant toujours, quelque soit l’ampleur de la technique utilisée, aux bottes de sa protagoniste et de son ressenti premier. Le film n’est jamais dans la surenchère, n’abuse pas des mêmes effets continuellement, mais reste dans une viscéralité constante impressionnante, et plus le film avance, plus chaque moment d’horreur monte un degré au-dessus dans le sordide, parfois l’inexplicable, mais surtout toujours avec une âpreté malsaine. La bonne idée du film, de donner des clés petit à petit quand à la compréhension de l’univers renforce par ailleurs son caractère horrifique, puisqu’on prend de plus en plus conscience du degré d’enfer dans lequel se plonge Lee Harker, venant dès lors multiplier l’importance des enjeux. Sans compter que son réalisateur laisse l’ésotérisme prendre de plus en plus de place ; quitte à potentiellement tomber dans le ridicule, qui est d’après moi annihilé par le sentiment d’effroi constant qu’arrive à garder le long-métrage, autant par ses plans millimétrés que par son jusqu’au boutisme captivant.

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En réalité, ce qui est peut-être une limite mais pour moi surtout une qualité de Longlegs, c’est que c’est peut-être aussi et surtout un bac à sable permettant à son metteur en scène d’expérimenter, de se viander parfois, mais surtout de proposer un film libre, à l’effroi imprévisible, jouant sur différents pan esthétiques, qu’ils soient visuels, sonores, hors champs, plein cadre, centré sur ses acteurs, ses décors, et j’en passe et des meilleurs. Évidemment ce qui marque, c’est la multiplicité d’images, parfois dans un style totalement différent du reste du long-métrage, qui créent tout du long, un dédale mental et d’horreur, incarnant des transmissions audio, des souvenirs, des ressentis, épaississant les imageries atroces, et densifiant le sentiment de mystère qui pèse sur Longlegs ; tout en touchant encore plus à la cellule familial et intime, notamment par le biais de photographies. Surtout, et c’est ce qui m’a marqué lorsque la campagne marketing a commencé, c’est que le film d’Osgood Perkins semble constamment se référencer à un, ou plutôt des imaginaires horrifiques liés à Internet. Que ce soit les liminal spaces, l’analog horror et surtout les creepypasta, sorte d’évolution des histoires qu’on raconte autour d’un feu, et qui mêlent souvent une image cauchemardesque à une histoire d’horreur, venant perturber le quotidien de ses personnages. Autant dans ses essais visuels que narratifs, il y a le sentiment d’un héritage qui se créé, et qui évolue pour créer une forme cinématographique encore inédite, et qui donne d’autant plus de substance à Longlegs, qui cite ces références tout en créant son propre imaginaire et autres frayeurs. Et en parlant de frayeur, j’ai certes parlé du personnage de Lee Harker, superbement interprétée par Maika Monroe, à la fois froide et fragile, mais il faut toucher un mot sur la performance de Nicolas Cage, qu’on pourrait qualifier de cabotinage, mais qui fait partit selon moi des grandes réussites de Longlegs. Car Osgood Perkins assume son jusqu’au boutisme flirtant avec un ridicule qu’on connaît à Nicolas fucking Cage, mais ici, l’amusement que peut provoquer la bouille de l’acteur se mue petit à petit en effroi glacial, de part évidemment, le premier degré constant de la caméra, mais surtout la part de mystère qui englobe le personnage, vivant à travers des « on-dit », des apparitions fantomatiques, bref, un mythe que créé le film, d’une simplicité presque radicale, mais qui comme pour son maquillage, est suffisant pour créer un malaise intense. Un malaise renforcé par tous ces détails inexpliqués, ces grossièretés visuelles qui viennent étayer les obscénités de l’œuvre. Des petits détails dans les ombres, le fond, le montage, qui créé un sentiment de paranoïa grandissant, aidé par un scénario de plus en plus retord et impitoyable pour ses personnages à mesure que le long-métrage avance, quitte à encore une fois potentiellement tomber dans le grossier. Pourtant l’atmosphère si particulière et angoissante persiste, et en grande partie grâce à un détail qui n’en n’est en fait pas un : le son. C’est aussi un des points qui lie Longlegs à la culture horrifique sur internet, sa manière de gérer, ou plutôt de se servir du son comme élément horrifique à part entière. Surlignant ses images horrifiques comme son atmosphère de malaise, c’est dans la coupure, ou l’arrivée nette et brutale, les bruitages plus ou moins grossiers et les étrangetés que le film se démarque, et arrive à rendre d’autant plus brutale, tonitruante et impactante chaque scène d’horreur et surtout de violence (physique mais aussi psychologique), autant dans des scènes passées à l’ambiance ésotérique que dans la brutalité sèche et sans concession du présent ; sans tomber dans le grand guignol ; mais surtout en gardant ce sentiment de singularité. Je ne dirai pas qu’il s’agit de jamais vu, et le sentiment d’héritage annihile de toute façon ce constat, en revanche, il y a une compréhension des nouveaux codes horrifiques, et une manière de les insérer dans Longlegs qui me paraît particulièrement glaçante et impressionnante, de quoi retenir l’attention même des moins enthousiastes pour certains des plans les plus malsains de l’année, et aboutissant à une forme imparfaite, mais couillu dans son dispositif fait de risques et d’initiatives viscérales.

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Oui Longlegs déçoit sur le pan narratif, qui aurait mérité d’être moins fragile et surtout, pour un film d’une telle liberté visuelle, moins borné. En revanche, ce qui marque avec la proposition d’Osgood Perkins, c’est le sentiment d’enfin revoir une proposition horrifique sachant manier ses références contemporaines pour mieux parler d’une culture passée et présente, et avant tout, proposer un dédale mental, une descente aux enfers froide mais surtout sans concessions, osant mettre son spectateur dans l’inconfort plutôt que dans le frisson, l’excitation. Toutes les initiatives du réalisateur ne sont pas concluantes, mais dans sa globalité, les prises de risque payent, et offrent un long-métrage glauque et retorse, qui laisse un goût amer de noirceur comme le cinéma hollywoodien n’ose plus nous en proposer. De quoi être excité de voir le réalisateur s’afférer, dans un style similaire, à l’adaptation d’une nouvelle de Stephen King pour février prochain.

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le 11 juil. 2024

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