Blitz Wolf
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Blitz Wolf

Court-métrage d'animation de Tex Avery (1942)

Blitzwolf ou le condensé de l'art avérien (la musique figurative chez Tex Avery)

Le cinéma d’animation est potentiellement d’une richesse infinie. L’effleurer c’est (a)voir le vertige de ces possibles. Constater que cet art permet une liberté de création immense. Parmi la galaxie de questions et d’études qu’amène l’animation si on s’y intéresse, la question de son lien à la musique m’a tout de suite fait comprendre une chose : cette liberté est communicative.


Surpris de n’avoir pu trouver d’étude approfondie et centrée sur la question de l’utilisation de la musique figurative chez Tex Avery, je m’en vais apporter ma vision des choses : celle d’un curieux et d’un amoureux de son cinéma.



Pour la petite histoire et la grande…



L’apport de la musique figurative est remarquable de manière ponctuelle et individuelle au Moyen-Âge et se popularise au XVIème siècle par l’influence des madrigaux (forme poétique courte), des motets (forme religieuse) et des chansons. Ces trois formes d’écritures musicales font appel à la voix, qui permet à cette époque, de les rendre compréhensibles par tous, comme un moyen d’expression privilégié par la musique populaire. On retrouve dès lors l’expression « peinture pour l’oreille », qui exprime ce que nous considérerons comme la musique figurative, une manière d’illustrer par la musique, des sentiments ou des situations. Par la suite, durant l’époque Baroque, le « stile rappresentativo » ou style représentatif, se développe au goût du jour. Vous lirez également le terme de musique descriptive, amalgame volontaire dans ce cas puisque le madrigal notamment, une des formes premières de musique figurative, avait cet objectif d’adapter la musique au sens du texte.


Le figuralisme musical, en ce qu'il permet de « peindre les choses », invite l'auditeur à se figurer visuellement ce qu'il entend et semble être un exemple de dialogue des arts des plus probants au sein d’une œuvre. Par la musique, il s'agit alors d 'évoquer, du latin evocare, appeler par la voix à la fois un imaginaire et des émotions de l’ordre de l’universel. La voix est par extension celle de la musique et des instruments qui participent à la figuration.


Le cinéma est certes né à la fin du XIXème siècle mais il s’est vu accompagné de nombreuses évolutions techniques, théoriques et artistiques dès les premières décennies du siècle suivant. Au cours d’une même période, relativement courte, les deux arts ont vu leurs modes de diffusion et de reproduction évoluer de manière significative. Ils sont par ailleurs devenus, malgré eux et par ces évolutions, des industries culturelles qui trouvent alors une résonnance particulière au temps de la mondialisation. Le cinéma, en tant que travail d’un collectif, illustre la spécificité de ce dialogue des arts : c’est par les apports conjoints de toutes les composantes du film que la magie opère. Le postulat que je prendrai ici sera le suivant : la vertu première d’une musique de film est de se marier avec les images de ce dernier. L’œuvre cinématographique rend caduque la hiérarchie entre musique populaire et savante en invisibilisant la frontière entre les deux, créant une unité à part entière. L’image et la musique, en tant qu’elles sont des composantes potentielles du cinéma, créent un lien déjà questionné à l’époque. Cette relation, qui a fait déclarer au compositeur Maurice Jaubert que « Nous ne venons pas au cinéma pour entendre de la musique. Nous demandons à la musique d’approfondir en nous une impression visuelle », le cinéma de Tex Avery l’a exploité avec un certain brio.


La première musique de film, comprenez musique composée pour le film, par Camille Saint-Saëns date de 1908 avec la partition de l’Assassinat du Duc de Guise. Si le métier de compositeur de musique de film a évolué de manière significative avec l'arrivée du parlant, il est déjà réfléchi, questionné par ceux qui feront sa gloire par la suite. On remarque dès lors que de nombreux compositeurs qui sont dépêchés pour le travail sur les films ont déjà une expérience avec les arts du spectacle vivant. Pour beaucoup, cela consiste avant tout à transposer leur manière de penser le lien entre musique et cinéma comme ils le feraient avec la scène sans prendre en compte les spécificités de ce nouveau support peu à peu considéré comme un art. Le musicologue Gabriel Bernard se dresse contre les musiques appliquées sur un film sans recherche de cohérence et s'adresse à ses confrères :
« Y aura-t-il des musiciens qui essaieront de créer un genre, qui voudront dégager et appliquer les lois du commentaire musical du film ? En dépit du marasme actuel, c’est fatal. Un jour ou l’autre, un ou des artistes dignes de ce nom se passionneront pour cette tâche neuve qui ne se réfère absolument ni au drame lyrique, ni à la pantomime, ni à la symphonie ».


Gabriel Bernard, La Musique et le cinéma, le Courrier musical


Dans les années 20, le statut de compositeur de musique de film évolue, la profession se spécialise et s'émancipe du travail de la scène, nombre de compositeurs cherchent à développer une esthétique propre au cinéma. De la même manière, il a fallu que les cinéastes considèrent la musique de film comme une composante respectable de l'œuvre, ce qui dans un premier temps ne fut le cas que ponctuellement, les témoignages de compositeurs concernant le manque d'ambition des cinéastes en ce domaine sont légion. Georges Auric, qui deviendra un de ces grands noms de la musique de film, déclara :
« Je pense que nous connaîtrons bientôt ce que, malgré diverses tentatives, nous ne pouvons encore qu’imaginer : une musique de cinéma. [...] La réussite demandera, entre l’auteur du film et le compositeur, une collaboration sérieuse et une connaissance précise des ressources que peuvent offrir à ce dernier les orchestres de cinéma ».


À mesure que le cinéma se construit sa propre identité, sa propre grammaire en tant qu'art, les questionnements sur ce qu'est la musique de film se poursuivent. Ces réflexions débouchent sur une utilisation de la musique figurative peu à peu répandue, tant dans le cinéma d’animation que dans le cinéma en prises de vues réelles. La musique descriptive se démocratise également, en 1936, Sergueï Prokoviev livre Pierre et le loup, un conte musical qui revisite une histoire traditionnelle en associant des formations instrumentales à des personnages. Sur le modèle de l'association, un caractère ou une démarche physique sont liés à un personnage et à un ou plusieurs instruments. Ainsi, l'oiseau qui virevolte sera associé à la flûte traversière quand les cors induisent la menace du loup. Ce fonctionnement fait appel au spectateur qui entend la musique dessiner le récit, les actions dans l'histoire sont musicalement traduites. La figure de Prokoviev est évocatrice puisque le compositeur s'illustrera aussi dans la musique de film notamment pour le film Alexandre Nevski de Sergueï Eisenstein. L'œuvre de Prokoviev est adaptée par Walt Disney Productions dix ans plus tard. Malgré certains ajouts, le court-métrage prend pour base l'œuvre originelle. Il s'agit alors d'adapter une œuvre musicale et de l'accompagner par les images, prenant la démarche inverse de bon nombre d'œuvres cinématographiques de l'époque.


Tex Avery (1908 – 1980) Réalisateur états-unien, Frederick Bean Avery, plus connu sous le nom de Tex Avery est une figure emblématique du cinéma d’animation. Il naît en 1908 au Texas, année pendant laquelle ont lieu les élections des membres du 61ème congrès à la Chambre des représentants des Etats-Unis, évènement concordant avec l’élection présidentielle remportée par le parti républicain avec à sa tête William Howard Taft en cette même année. Dès son plus jeune âge, Avery cultive un goût prononcé pour le dessin et la création, il consacre ses nuits à la conception d’une bande dessinée qui se verra refusée par tous les éditeurs. La période principale de son activité qui s’étend des années 30 à la fin des années 50, constitue un essor de l’animation aux USA par la multiplication de studios. Le premier long-métrage d’animation, Les Aventures du prince Ahmed, réalisé par Lotte Reiniger, sort en 1926 mais ce n’est que dans les années 30-40 que les longs-métrages de studio se diversifient. Au cinéma en prises de vues réelles, l’époque est marquée par l’âge d’or du film noir. Les cartoons d’Avery et les films noirs mettent en scène la violence que l’on retrouve dans une société en proie à une actualité anxiogène. En 1939 Avery réalisera Le Crime ne paie pas, un dessin animé des Merrie Melodies qui met en scène le gangster Killer Diller. En 1930 il collabore avec Walter Lanz à l’élaboration des cartoons de Oswald le lapin chanceux produits par Disney et Universal, il fait donc ses débuts travaillant un personnage dont il n’est pas le créateur. Ce dernier s’est illustré en tant que gagman pour Max Sennett et Hal Roach, leur association permettra au futur Tex Avery d’appréhender son style comique. Après sept ans passés dans ce studio, il décide de le quitter et affirme sa volonté de réaliser lui-même des cartoons. À la même époque, Leon Schlesinger proche des frères Warner est à la recherche d’un réalisateur après le départ de Hugh Harman et de Rudolph Ising, également collaborateurs de Walt Disney. Schlesinger accorde sa confiance aux réalisateurs qui développent une galerie de personnages, Avery profite de cette liberté pour apporter du renouveau dans la réalisation. Nous pouvons citer notamment ses collaborateurs les plus importants, Friz Freleng, Ben Hardaway, Jack King, Frank Tashlin, Bob Clampett et Chuck Jones. Parmi les faits notables de son passage chez Schlesinger nous retiendrons son travail sur les personnages de Daffy Duck, de Egghead qui deviendra Elmer Fudd et de Buggs Bunny dont il finalisera la forme : Porky va à la chasse (1937), Daffy et l’Apprenti chasseur et A feud there was (1938) et Un chasseur sachant chasser (1940).


La période d’activité du réalisateur est propice à l’humour, dans le prolongement de l’apogée du slapstick américain, les Marx Brothers jouissent d’un succès populaire. Avery est considéré comme un des héritiers de cette forme d’humour visuelle qui a fait les grandes heures du cinéma muet. À partir de 1942 et son entrée à la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), il signe ses courts-métrages d’animation sous le nom de Tex Avery, preuve de sa liberté artistique définitivement acquise. Le responsable Fred Quimby lui met à disposition une équipe composée notamment d’animateurs et de scénaristes. De cette liberté de création débouche une période très prolifique, dès son entrée à la MGM, il crée les personnages de Wolfy, Droopy et Squirrel qui le rendront célèbre. Ses cartoons se caractérisent par un rythme très soutenu, des gags qui s’enchainent rapidement et une exagération constante dans les images comme dans la musique. « L’arrivée de Tex Avery a été semblable à une avalanche. » (Michael Lah, animateur à la MGM) , à travers la mise en parallèle de deux studios d’animation différents et de leur style, l’idée est de développer les raisons de ce bouleversement.


Scott Bradley (1891 - 1877) Compositeur états-uniens né le 26 novembre 1891 à Russellville, Scott Bradley suit une formation classique de pianiste. Il effectue son apprentissage musical avec Arnold Schönberg, illustre compositeur autrichien de la première moitié du XXème siècle. En 1930 Scott Bradley, en tant que compositeur, rejoint le studio d’Ub Iwerks, ancien animateur de chez Disney. Après le rachat de Harman-Ising Studio par la MGM, l’artiste travaille pour le département cartoon en 1938 et devient un compositeur phare de la compagnie. Avec Fred Quimby, Bradley expérimente un style musical qui s’adapte aux cartoons très expressifs tels que ceux de Tex Avery. Notamment avec le personnage de Droopy, il livre des orchestrations qui aident à la popularisation des cartoons. Le fondateur et directeur de la MGM propose alors à Bradley de composer en amont la musique des courts-métrages afin de les associer par la suite avec les images. Cette nouvelle méthode de travail alliée à la pépinière de talents gravitant autour de Tex Avery leur permettra de développer une musique qui suit au plus près l’action, les émotions et les personnages. Comme Stalling chez Warner, Scott Bradley conçoit des bandes originales (BO) qui mettent en avant musiques savante et populaire liées par des partitions atonales. Ce terme désigne une technique de composition musicale qui met volontairement en avant les dissonances et annule la hiérarchie tonale jusqu’alors admise par la musique savante. L’atonalité est donc une forme d’expression musicale utilisée pour figurer les déséquilibres des personnages et des atmosphères anxiogènes. Ce travail a été nourri par son parcours chez Schönberg. Dans les faits Scott Bradley intègre des musiques de compositeurs dits « classiques » comme dans l’épisode de Tom et Jerry Le Concerto du chat, qui obtient l’Oscar du meilleur court-métrage d’animation en 1947. Dans ce dessin animé, l’artiste arrange la Rhapsodie hongroise de Liszt qu’interprète Tom le Chat non sans mal puisque Jerry la Souris lui met des bâtons dans les roues. La volonté du compositeur de lier ses influences à l’imagerie de cartoons destinés aux plus jeunes, rejoint notre définition de la musique de cinéma qui efface les frontières entre musique savante et populaire. Bradley a toujours défendu l’idée que la musique de cartoons est une forme d’expression permettant une certaine liberté qu’il faut exploiter. Déjà en 1938 il compose Cartoonia, une adaptation orchestrale de son travail à la MGM, il n’aura de cesse dans sa carrière de réaffirmer le potentiel de la musique de cartoons. Pour Tex Avery, Scott Bradley composera la musique d’un de ses premiers succès notables : Blitzwolf . L'idée à présent est de mettre ce cartoon en parallèle avec le court-métrage Donald à l’armée, réalisé par Jack King qui met en scène un des personnages populaires des Studios Disney, Donald Duck créé en 1934. Les deux dessins animés de propagande sortis en 1942 prennent la Seconde Guerre Mondiale pour contexte. En effet, le 7 décembre 1941, après le bombardement par l’aviation japonaise de la base navale de Pearl Harbor, les USA entrent en guerre aux côtés des Alliés. Le premier cartoon développe l’histoire originelle du conte oral Les Trois Petits Cochons, qui s’est vu attribuée par la suite plusieurs versions. Dans cette version parodique, les cochons représentent les pays alliés et le loup caricature Adolf Hitler. La ressemblance physique et caractérielle avec le dirigeant du Parti national-socialiste des travailleurs allemands est annoncée par un carton au début de l’œuvre. Le second propose l’histoire de Donald mobilisé par l’armée états-unienne, après une visite médicale, il se retrouve dans un camp d’entraînement. Les deux œuvres mettent en avant des personnages anthropomorphiques doués de parole, de telle manière que les protagonistes se distinguent des autres personnages par leur tessiture de voix. Ainsi les trois cochons et Donald ont des voix plus aigües figurant leur innocence et leur vulnérabilité. De la même manière, les musiques d’ouverture sont joyeuses et entraînantes et prennent le contrepied du thème militaire. Le compositeur Paul J. Smith, crée la partition pour Disney, il s’agit d’un artiste historique de la société puisqu’il a collaboré notamment pour plus de 70 courts-métrages d’animation. La proposition faite ici et sur laquelle s’appuie la musique est de confronter le personnage et son enthousiasme à s’engager dans l’armée à la réalité du terrain. Dans les deux cas ce sont les cuivres qui dominent, rappelant l’autorité militaire. La musique souligne le discours des personnages et leurs actions, par exemple lorsque le sergent cochon français dit « engagez vous » l’accompagnement musical accentue son ordre.


Popularisé dans le cinéma d’animation, le bruitage exagère les faits et s’avère particulièrement adapté à ce style artistique. L’utilisation des bruitages est alors à penser comme une musicalité qui se conjugue à la BO et à l’animation. Au XXème siècle, les sons comme les bruits sont théorisés et utilisés par des artistes de courants musicaux qui les intègrent à leurs compositions. Le développement de l’enregistrement phonographique par le microphone, dans la seconde moitié du XXème siècle, a permis l’emploi et les déformations des bruits. Ce que l’on appellera la musique concrète développera l’idée que le bruit est un instrument en lui même. Plus tard, la noise musique fondera sa grammaire musicale sur la modulation des bruits et leurs diverses utilisations. Dans le cadre des bruitages dans l’animation, leur musicalité se calque sur l’action et la musique. Le mythique personnage Mickey Mouse de Disney a donné son nom à un procédé musical désignant surtout les premiers films du studio, dans les années 30-40, mais dont Scott Bradley semble être l’héritier direct. Le principe est simple, il suffit de suivre les actions du cartoon de manière à faire évoluer la musique en même temps que l’animation. Dans le processus même de création du compositeur, on retrouve cette idée puisque les actions suivent la musique et inversement. Il en résulte une musique très dynamique s’intégrant parfaitement à l’univers de Tex Avery. Il serait cependant réducteur d’affirmer que la place de la musique chez ce dernier ne permet que de suivre l’action.



Les divergences : l’absurde poussé à l’extrême chez Tex Avery



Ancien de chez Disney, aux ambitions différentes, Tex Avery devient un des concurrents du studio en développant sa propre identité : « Tex Avery c’est l’énormité permanente, la folie des grandeurs, la distorsion des mesures… » (Marcel Gotlib, Tex Avery la folie du cartoon, Fantasmagorie production.) . Cela se ressent dans son travail sur la musique puisque ses cartoons privilégient un rythme très rapide qui ne peut fonctionner qu’avec un format court. Dans notre étude de cas, l’usage de la musique demeure différent. En effet, l’art d’Avery est celui de la surenchère permanente, il a introduit dans le dessin animé le ton du nonsense, d’après le terme anglais, de l’absurdité des postulats permettant de pousser les situations à l’extrême. Il est fréquent dans les cartoons de Tex Avery de rompre les frontières physiques et de passer d’un univers à un autre. Dans cette logique de « multivers » déjà amorcée dans la littérature de science-fiction chez Philipp K. Dick, nous sommes en droit de nous poser la question de l’unité, de la cohérence du tout au vu de la diversité des parties. Le rôle dramatique et figuratif de la musique dans les cartoons peut être alors considéré sous cet angle : la musique est le lien entre ces univers. Elle permet aux personnages qui se posent la question de leur existence au sein de ce multivers d’y déambuler librement et aux spectateurs de comprendre l’action par la narration musicale alliée à la narration visuelle. Le contexte multi situationnel ne pourrait déclencher le rire chez le spectateur sans cette composition musicale, qui semble-t-il, dicte les actions des personnages autant qu’elle les accompagne. Il apparaît dès lors nécessaire d’accentuer au maximum ce figuralisme musical, ce que font Scott Bradley et Tex Avery de concert, musique et dessin animé étant pensés dans une optique d’harmonie.


Concrètement, le personnage de Wolfy est ridiculisé par l’alternance des pas militaires et des pas de loups, ce qui tranche avec le statut du personnage et par extension celui d’Hitler. La hauteur de la musique, associant les pas du conquérant à des sons aigus décrédibilise l’antagoniste. Les cartoons d’Avery sont profondément subversifs et anticonformistes, l’utilisation de la violence est exacerbée, le réalisateur souhaitant rendre le dessin animé plus adulte et politique. Avec Blitzwolf, évoquant par son titre la Blitzkrieg, dite « guerre éclair », il livre un court-métrage ironiquement très violent puisque les USA bombarderont Hiroshima et Nagasaki en août 1945. Ainsi, on remarque que Donald à l’armée de Disney n’aborde que la préparation de la guerre alors qu’Avery décide de la présenter frontalement. Il intègre donc à son rythme musical des bruitages de bombes, de missiles, d’explosions et de détonations. Aucun silence n’est possible chez Tex Avery, la musique est frénétique suivant l’action contrairement au travail de Disney qui laisse place aux dialogues par des blancs musicaux. Tex Avery pousse l’animation à son paroxysme : les personnages sont déformés jusqu’à l’invraisemblable, la violence est monnaie courante et l’absurde domine. Tous les courts-métrages de Tex Avery ont comme caractéristique commune de refuser la demi-mesure. Les cartoons dans leur volonté de tendre vers l’absurde et la surenchère brisent régulièrement le quatrième mur spécifiquement en arrêtant ou changeant la musique brusquement ou en effectuant un scratch, effet déjà utilisé dans Blitzwolf en 1942. Ils prennent ainsi la démarche opposée d’un réalisme et d’une suspension consentie de l’incrédulité , il n’y a plus de confusion entre réel et fictif, Avery joue avec le spectateur lorsque le canon est interminablement long et porte sur lui un panneau indiquant « c’est long n’est-ce pas ? »



La télévision : mine d’or des hommages à Tex Avery



La politique isolationniste des USA des années 30 a créé un contexte de repli sur soi de la culture états-unienne, contexte qui évolue à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, peu à peu cette culture se répand dans le monde entier. La télévision, outil de cette propagation idéologico-culturelle, se développe de manière exponentielle dans les foyers européens au cours des années 60-70. Dans le même temps, on assiste à une industrialisation de masse des différentes productions artistiques à l’image de l’industrie phonographique qui profite de la liberté de diffusion qu’offre la radio et le support physique (vinyle puis CD). Principal pays épargné par la guerre sur son territoire, les pertes étant humaines, les USA disposent d’une force de frappe économique et culturelle, aujourd’hui appelée Soft Power, qui se développe également par les cartoons. Ainsi, les séries d’animation de la Warner Bros comme celles de Walt Disney Productions, pour ne citer qu’eux, sont rendues populaires dans le monde entier, créant un engouement générationnel nourrissant de futurs artistes influents. Dans la plupart des contes parodiés par Tex Avery, la morale est mise à mal : les personnages sont violents, lubriques et mauvais. Les mécanismes psychologiques et sociaux humains sont ici reproduits et exacerbés. Il s’agit donc d’un retour aux origines primitives de la lutte pour la survie et ce, quoi qu’il en coûte, notamment dans Droopy le conquérant (1943) où un troupeau de moutons changent une prairie en désert en un instant ou encore dans Mieux vautour que jamais (1943), où deux vautours se transforment en cannibales cherchant à s’entre dévorer. Ces thématiques sont exploitées en permanence dans les cartoons de Tom et Jerry, dans le début de Les deux mousquetaires, réalisé en 1952 par Hanna et Barbera, dont Scott Bradley composa la musique, l’introduction musicale livre un pastiche de films de cape et d’épée populaire depuis l’arrivée du cinéma parlant. De même, on retrouve les personnages de Cocorico, court-métrage de 1951, se livrant à leurs instincts les plus primaires (hurler et dormir), qui ne sont pas sans rappeler les personnages beckettiens dont l’existence est dénuée de sens. Ces aspirations ne sont qu’un sous texte, la volonté première est le rythme musical et comique qui privilégie le rire. L’impact de l’art avérien est donc avant tout visuel et libérateur, Tex Avery fut le premier à démontrer que tout est possible dans le dessin animé, notamment par la popularisation de l’adresse au spectateur et de la destruction du 4ème mur.
« [L]’œuvre d’Avery est à tous les autres cartoons qui peuvent lui être comparés, des plus réussis des Silly Symphonies aux meilleurs Tom et Jerry, ce que les Marx sont, mettons, à Laurel et Hardy : poussant l’absurde jusqu’au délire, le non-sens jusqu’au “merveilleux” surréaliste et le gag jusqu’au cauchemar, rejetant superbement tout prétexte rationnel pour assaillir l’écran et le spectateur […] certaines trouvailles du réalisateur appartiennent désormais aux images les plus libres et audacieuses qu’on ait jamais pu voir sur un écran » (Petr Král, Tex Avery ou le délire lucide, positif 160.)


Cette liberté se traduit également musicalement, par l’utilisation quasi-systématique, d’une musicalité des bruitages dans les cartoons de la Warner. Les bruitages sont utilisés pour ponctuer la musique, les actions, si bien que l’on peut suivre les yeux fermés un cartoon et en comprendre le sens. N’est-ce pas là une grande réussite de la musique figurative ? En proposant des codes, depuis admis par les spectateurs, comme le fait de mimer musicalement la chute d’un personnage par des descentes chromatiques, les cartoons créent leurs propres grammaires visuelle et musicale héritées de Tex Avery. Ce réseau de signes se comprend dans son œuvre prise dans son ensemble. Le célèbre loup, représentant la lubricité, hurle en voyant la femme plantureuse et sexualisée, autre marque de fabrique d’Avery. Le hurlement est ainsi associé à un caractère, à un vice dans une logique figurative. Lorsqu’en 1944, dans Mou du nougat (guerrier du mois), les indiens, personnages humains, hurlent en voyant la future épouse, le spectateur ne peut que se figurer le loup derrière l’homme. Le monde de l’animation fut profondément bouleversé par l’arrivée de la télévision qui imposait des délais beaucoup plus courts et une production plus intense. Si Tex Avery était réfractaire à ces méthodes de travail, c’est bien en premier lieu à la télévision que son héritage sera remarquable. Dans un premier temps, il est notable que ce média passe les cartoons d’Avery en complément de ses programmes, contribuant à leurs popularités. Les films de la période Warner étant encore très méconnus du public, la télévision permettra cette visibilité. Parmi les artistes bercés par l’univers de Tex Avery, on retrouve Matt Groening, créateur de la série Les Simpson, diffusée à partir de 1989. Il rend hommage par l’intégration d’un cartoon parodique dans la série elle-même, Itchy et Scratchy, personnages de souris et de chat extrêmement violents. Par la suite, les studios qui ont vu le succès du réalisateur, sortiront les Animaniacs, en 1993, produits par Amblin Entertainment société fondée par Steven Spielberg. Cette série, comme en 1990 Les Tiny Toons qui se veut prendre la relève des Looney Toons, réutilisent les codes des cartoons avériens.


La musique descriptive prend différentes formes au cinéma, mais celles que nous avons déjà évoquées chez Avery demeurent privilégiées par le cinéma d’animation. À l’époque des débuts de la starification des interprètes dans la musique comme à Hollywood, Tex Avery réalise Le Maestro magique, sorti en 1952 qui met en avant un chanteur d’opéra qui brise le 4ème mur et interrompt la musique. Dans ce cinéma, le fait d’avoir rendu le propos plus adulte avec des sujets sexualisés ou violents, donne une certaine liberté de ton à l’animation comme avec les dessins animés de Ralph Bakshi. En 1972, il écrit et réalise Fritz le chat, un film connoté sexuellement, qui sera le premier long-métrage d’animation à recevoir le classement X aux USA. L’œuvre de Tex Avery dans son sens le plus large, marque l’imaginaire collectif occidental après les années 50. Steven Spielberg et Robert Zemeckis sont deux cinéastes de la même génération qui ont grandi avec ces cartoons pour référence. À la fin des années 80, Spielberg produira plusieurs courts-métrages d’animation qui promeuvent le personnage de Roger Rabbit en vue de la sortie prochaine de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?. Tout comme le film, ce sont des hommages revendiqués à l’œuvre de Tex Avery. L’utilisation de la musique et des bruitages y est donc similaire dans un soucis d’efficacité comique.


Le film de Robert Zemeckis produit par Spielberg, met en scène le personnage de Roger Rabbit en mêlant prises de vues réelles et animation. Le synopsis du film est propice au clin d’œil à l’univers des cartoons en général puisqu’il crée un contexte spatial, celui de Toonville, légitimant la présence des personnages animés dans le film. Celui-ci s’avère être un tour de force technique puisqu’il a fallu penser le tournage des séquences en prises de vues réelles, en prenant en compte l’intégration des images animées en post-production. La performance est également notable puisque les droits des personnages ont été acquis pour permettre aux éternels rivaux que sont Daffy et Donald d’apparaître côtes à côtes à l’écran. Dans le long-métrage la musique et les bruitages sont donc directement liés aux personnages de cartoons qui ressortent de l’environnement physique humain du film. Zemeckis utilise donc les bruitages et la musique à la manière de Tex Avery et Scott Bradley pour ponctuer les actions. Réalisé par Chuck Russell, The Mask, sort en 1994 en France et met en scène un personnage qui devient le personnage du titre après avoir enfilé un masque qui lui permet d’acquérir des pouvoirs de personnages de cartoons. Le choix de l’acteur principal, Jim Carrey, extrêmement populaire dans le registre comique, est pertinent puisqu’il dispose palette d’expressions faciales rappelant l’expressivité des personnages cartoonesques. On y voit des références au monde de Tex Avery par les mimiques et déformations physiques empruntées de ses films et comme dans le film de Zemeckis une utilisation des bruitages qui s’inscrit dans un contexte quotidien créant ainsi une rupture. Les œuvres citées précédemment sont en effet des hommages mais ne montrent pas d’innovation dans la manière de lier la mise en scène et l’apport de la musique figurative. Ces innovations sont pourtant fréquentes dans l’histoire du cinéma à partir de la seconde moitié du XXème siècle, puisque le compositeur de musique de film est considéré comme un artiste à part entière, faisant partie du processus créatif.


De nombreuses études ont théorisé la musique au cinéma mettant en valeur l’importance des sagas cinématographiques dans la popularisation des thèmes figuratifs et leurs déclinaisons. La figure majeure de la composition de musique de films pour les sagas à Hollywood est incontestablement John Williams.


John Williams (1932-) L’Interprète, compositeur, chef d’orchestre et producteur états-unien est né en 1932 à New-York. Il débute sa carrière dans le Jazz dans les années 50 jusqu’à la fin des années 60, où il interprète et arrange des morceaux. Il compose ensuite pour des séries télévisées, des téléfilms et des émissions mais est principalement connu en tant que compositeur de musique de film. Il signe les partitions d’une quarantaine de chansons originales et de multiples BO. Au commencement de son travail, on remarque l’importance des solistes qui se font les doubles des acteurs à l’écran, la musique se veut figurative puisqu’elle dessine un second film exploitant son lien puissant avec le montage et l’image. John Williams a formé un duo réalisateur-compositeur avec Steven Spielberg, pour qui, il composera les BO de Les Dents de la mer (1975), E.T l’extra-terrestre (1982), Indiana Jones, dont le premier film sort en 1981, Jurassic Park (1993) et La Liste de Schindler (1993), pour ne citer qu’eux. Il s’illustre auprès d’autres réalisateurs et marque les esprits avec les thèmes de la saga Star Wars et Harry Potter qui sont des succès planétaires. Ces thèmes musicaux convoquent une iconographie appartenant désormais à la mémoire collective spécifiquement par leur utilisation descriptive. Chaque personnage est ainsi associé à des caractéristiques, elles-mêmes rendues reconnaissables par la musique, par exemple, le thème de Superman (1978) évoque l’héroïsme par la trompette qui, en solo joue la mélodie en do majeur, tonalité propice à la connotation de la force. L’utilisation courante des leitmotiv au cinéma est privilégiée par le compositeur, ainsi dans la trilogie Le Seigneur des anneaux, dont le premier opus est sorti en 2001, les thèmes des différents partis évoluent au cours de l’histoire. Le leitmotiv, déjà utilisé à l’Opéra, trouve ici une résonnance singulière au sein d’une saga cinématographique. Dans l’épisode 5 de Star Wars, L’empire contre-attaque, le principe du leitmotiv est fortement exploité puisqu’il permet de mettre en lumière le personnage de Dark Vador et son évolution, d’abord martiale et triomphante, la musique suggère la progression de l’Empire. La saga cinématographique est considérée comme une « épopée de l’espace » ou comme à l’Opéra chaque personnage ou élément clé se voit attribué un thème qui sera décliné. La participation de John Williams en tant que compositeur à l’ensemble de la saga crée une unité et permet d’enrichir ces variations. Le sujet de la musique figurative dans l’œuvre de John Williams est très riche et même si nous ne pouvons pas voir en ce compositeur, l’héritier direct du duo Avery-Bradley, il est évident que leur usage de la musique descriptive a marqué les esprits de ceux qui feront du cinéma par la suite.
« L’un des aspects qui manque le plus à la musique de film d’aujourd’hui est l’élément festif. La plupart des partitions sont trop calculées et ne sont ni vivantes ni émotionnelles. Avec Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, je n’ai pas cherché à révolutionner un genre mais simplement à m’inscrire dans une certaine tradition de la musique pour l’image, celle que je défend : l’expression de l’orchestre, l’expression du thème. Vus savez, je me considère toujours comme un musicien… et non un informaticien ! » - John Williams, Cinéfonia magazine
Ce qui intéresse John Williams, c’est de travailler au cinéma car il a compris que la musique a un rôle important dans l’harmonie des arts. La progression atonale des instruments à cordes dans le thème de Les Dents de la mer, rend le thème particulièrement angoissant et évoque la présence sous-marine du grand requin blanc. Dans la manière de composer de John Williams s’effectue une opposition entre l’harmonie fonctionnelle et non fonctionnelle. Il est remarquable que malgré cette opposition entre tonalité et atonalité, les partitions ne débouchent sur une vision binaire du bien et du mal, si la tonalité est le système musical le plus compréhensible par les auditeurs/spectateurs, il sert avant tout à représenter les humains et à convoquer leurs émotions. L’atonalité quant à elle se réfère aux situations inconfortables comme la guerre ou le plongeon vers l’inconnu. Attention, cette analyse de l’œuvre de Williams ne doit pas être systématique, elle pose les jalons de la lecture de la musique figurative chez le compositeur.


Avec ce parcours croisés des œuvres j'espère avoir permis la mise en évidence des liens thématiques, historiques et artistiques qui unissent le cinéma et la musique et en quoi Tex Avery a non seulement compris leur complémentarité et l’importance du figuralisme musical. Il était singulier dans sa manière d’approcher le cinéma d’animation, et par extension, la musique dans les cartoons, cela l’a rendu unique et l’a distingué de ses concurrents de l’époque. Les héritiers de Tex Avery ont su évoluer avec leur temps et se réapproprier la musique en tant que composante du cinéma. Avec le temps, la composition de musique de film a été considérée comme un art à part entière et ce, car le cinéma permet le dialogue des arts. Le succès des sagas cinématographiques et l’impact des thèmes musicaux qui y sont liés confirme la reconnaissance professionnelle et publique du statut de compositeur de musique de film et leur importance dans le processus créatif. L’influence d’Avery dans les arts visuels est également visible puisque qu’il est un créateur d’images fortes, marquant les esprits. Marcel Gotlib, un des grands noms de la bande dessinée en France, et fondateur de Fluide Glacial, a toujours revendiqué son intérêt pour les cartoons de Tex Avery, le personnage de Gai Luron qui l’a rendu célèbre est un hommage au Droopy du réalisateur. Nous sommes en droit d’espérer que les spécificités et les libertés offertes par le cinéma d’animation continueront d’être explorées par des réalisateurs et compositeurs avec le même engouement que le réalisateur texan...

Jekutoo
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le 24 juin 2021

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