Mel Gibson. Mel Gibson, Mel Gibson, Mel Gibson. Mel, comme l'appellent ses amis. Pour les cinéphiles qui ont grandi dans les années 80 et 90, Mel Gibson ne sonne pas comme un nom, mais plutôt comme une incantation, au même titre qu'un Bruce Willis ou un Kevin Costner. Comme l'exprime très bien le réalisateur Jean-François Richet, dont les louanges à l'égard de l'acteur sont impressionnants : des stars hollywoodiennes qui peuvent camper des durs à cuir, il y en a pas mal, et des qui excellent dans les scènes dramatiques, il y en a aussi, mais… des qui maîtrisent les deux à la fois ? Pas tant que ça. Or, Mel A ça. Mel Gibson, c'est le gars qui change l'atmosphère d'une pièce quand il y entre, qui l'illumine de son charisme de natural born movie star. C'est le gars qui, quand il entre dans ton saloon, te fait penser : ok, celui-là, il ne vient pas pour commander un Panaché. L'homme peut être une tête de nœud de première, un antisémite notoire, ou un collectionneur de chats empaillés, rien à cirer, envahir l'écran de sa présence magnétique, inspirer un grand « wouah » au spectateur pop-corneur avide de gueules, c'est la seule chose que l'on est en droit d'attendre d'une star du cinéma.
Mel est là (et bien)
Et des « wouah », Gibson t'en inspire un bon paquet, durant les 88 minutes de Blood Father. Fort d'une vraie gueule. D'une vraie présence. Et d'une vraie implication dans un rôle taillé à sa mesure : celui d'un personnage fort, érodé par une vie de coups d'éclats et de coups durs, un brin renfrogné et pas vraiment métrosexuel, mais aussi spirituel, et… plutôt émotif quand ça cause famille. Prenons sa performance au moment où son personnage entend au téléphone la voix de sa fille pour la première fois depuis un bail : impeccable. Ou encore la scène où il annonce aux méchants qu'il va tous les exterminer : le feu sacré de la vengeance brille dans son regard d'acier. C'est n'est pas juste un acteur qui récite ses lignes. Un Mel habité par son personnage - marque de fabrique de l'acteur. D'aucuns établiront un pont encore plus lourd entre lui et le personnage de Link : toutes proportions gardées, les deux ont eu leurs heures de gloire, les deux ont déconné, les deux ont appris de leurs erreurs, et les deux nous reviennent en repentis… pourquoi pas. Coïncidence ou pas, une de ses premières scènes se déroule dans la caravane qu'il a pour maison ; à ce moment, on pense forcément à la première scène de L'Arme fatale. Mais on peut aussi l'interpréter de cette façon : Mel en impose autant dans une caravane en 2016 qu'en 1986. Le Mel vieillit bien. On n'aurait dû le voir qu'avec sa barbe, sur les affiches de Blood Father, pour vraiment profiter du choc au moment où il se la rase, et retrouve sa gueule de Martin Riggs. Raison de plus pour en profiter.
Le reste, un peu moins
Que le pop-corneur soit prévenu : Blood Father (on va dire BF) n'est PAS le Taken de Mel Gibson. D'abord pour une raison plutôt claire et nette ([spoiler alert !] il y passe un peu à la fin), ensuite parce qu'il n'a pas la gueule d'un film d'action américain typique malgré un manque d'originalité sur lequel nous reviendrons. Le cinéma de Jean-François Richet n'a jamais manqué d'intérêt. Peut-être tire-t-il de ses origines prolétaires (il a grandi dans une barre HLM de Meaux) ce regard aussi brut qu'attendri qu'il pose sur ses personnages de délinquants spirituellement récupérables ? Il tourne peu, mais depuis De L'amour (troisième film mais premier de fiction digne de ce nom, et… totalement oublié par tout le monde), et à l'exception de son film de vacances Un moment d'égarement sorti l'année dernière, il n'a cessé d'honorer le polar, français (avec le dyptique Mesrine) ou américain (avec son fort honnête remake d'Assaut et le présent film), en livrant des films imbibés de ce mélange d'approche sociale et de virilité paillarde qui faisait son charme dans les années 70. BF est carré comme un pavé de granit et brut de décoffrage comme la barbe de son acteur, si cette comparaison a le moindre sens. Pas de chichi arty, pas de pauses philosophico-contemplatives, que du Gibson en mode « no bullshit », qui rappelle clairement son amusant Payback (2000). Mais ce film était, lui aussi, armé d'une simplicité, d'une primitivité parfaitement assumée qui n'intéresse pas BF : le film de Richet ne se limite pas à un père débaroulant les méchants qui en veulent à sa fifille ; il a ça, mais il a aussi une forte dimension rédemptrice qui confère à son récit des couleurs mélancoliques et crépusculaires parfaitement absentes d'une production Besson (rires).
Le problème est que ce qui semble être une force, présenté ainsi, est dans BF une faiblesse : quand la caméra quitte le protagoniste, ses démons et sa violence brute, pour s'intéresser à sa relation avec sa fille, qui n'a pas grand chose de passionnant, on croit tomber dans un téléfilm. Rien dans cet aspect de BF ne ressort vraiment vraiment, car la majorité de ses ficelles ont déjà été vues mille fois [spoiler alert !] : la gamine trop rebelle enchaine les « fuck » et porte des jeans presque troués, le père lâche son « fuck » à lui lorsqu'il découvre de la came dans le sac à main de sa fille chérie (« elle va m'entendre »), les consignes qu'il lui donne pour rester en sécurité ne seront FORCÉMENT pas suivies, et le brave mourra FORCÉMENT à la fin après s'être réconcilié avec Dieu et son destin, non sans avoir sorti à sa connasse de gamine une réplique du genre de « désolé de ne pas avoir été là pour toi »… sic. Cette dernière n'est pas vraiment aidée par son interprète, Erin Moriarty, sorte de croisement entre Allison Lohman, Allison Pill, Anna Paquin et Selena Gomez (oui, ça fait envie) qui manque un peu d'expressivité et beaucoup de charisme, surtout pour une prétendue fille à Mel. Ses efforts sont louables, mais la plupart de ses scènes avec Gibson sentiront plus la collaboration un peu gauche d'un acteur vieillissant avec une jeune actrice qu'une authentique confrontation d'un père avec sa fille. Même Gibson a un peu de mal à gérer le mélange pas très savant d'intimisme détendu (le père et sa fille se redécouvrant dans un quasi-road-movie) et de sauvagerie mad-maxienne (Link renouant avec ses démons pour y puiser la force de euh dézinguer tout le monde) : Richet et son scénariste auraient dû faire la part belle à l'un ou à l'autre, en faisant soit une comédie dramatique matinée d'action, soit un film d'action pur, qui aurait alors mis un gros bémol sur la fille (par exemple en la réduisant à une kidnappée, comme dans Taken). Là, ça marche tout au plus à moitié, ce qui pose problème, pour un film dont le titre contient le mot « père », vous en conviendrez.
En fait, y a presque que lui qui fait quelque chose
L'autre problème est que la fadeur de l'histoire se retrouve un peu partout. Le point de départ, l'intrigue simplissime et les références à la filmo de sa star donnent l'impression que BF lorgne vers l'hommage aux séries B burnées des années 80, mais il manque de roublardise, d'inventivité et de personnalité pour fonctionner sur ce plan. Les répliques qui claquent sont moins nombreuses que celles qui désolent (« hey man, where did you find her ? », demande avec un sourire lubrique le jeune employé de motel à un Gibson très clairement capable de lui démonter la tête… la coolitude, ça vient pas comme ça, petit scénariste !). Les escales du road-movie, que ce soit celle chez les bikers nazis (grand moment d'originalité qui permet à Richet de glisser une petite réplique pro-migrants archi-subtile) ou celle au motel, en plus de tomber à plat, ne servent strictement à rien. Le développement du personnage du sympathique sponsor, joué par le toujours excellent William H. Macy, se limite à son utilité dans l'intrigue (= genre, trois scènes), et c'est bien dommage, car on attendait plus de l'acteur (davantage d'échanges entre lui et Gibson, par exemple !). Et surtout, le méchant du film est un échec total. Si un thriller n'a pas besoin d'un antagoniste prodigieux pour être réussi, il est connu qu'un bad guy de qualité a sauvé bien des films du naufrage, et BF en avait cruellement besoin. Jonah, petite frappe irresponsable d'un cartel anonyme, est exactement l'inverse : son personnage ne fonctionne pas dès les premières minutes du film, lorsqu'il tente un poutou fougueux sur la pauvre petite Moriarty, et échoue lamentablement. Il est entendu que tout antagoniste n'est pas censé être Hannibal Lecter ou Hans Grüber, mais un peu de tension n'est jamais mal venu. Sur le web, on le vend comme un acteur qui monte, en citant notamment son rôle de « capitain Cassian Andor » dans le très prochain Rogue One: A Star Wars Story. Quand on y pense, c'est vrai que son epic fail dans BF rappelle un peu celui d’Adam Driver dans Le Réveil de la force… En bref, le scénario de BF aurait fait moins de déçus s'il avait été réduit de moitié et dédié à un épisode d'une série dédiée à Link, par exemple. Mais pour un long, c'est bien maigre.
Come-back ? D’où ?
Nulle envie de jouer les rabat-joie : nous aurions aimé prendre notre pied devant BF. Une série B nerveuse et un peu méchante avec la star américaine de notre enfance ? Plutôt deux fois qu'une, mon capitaine. Et à partir d'une substance un peu médiocre, Jean-François Richet parvient à tirer un divertissement fort honorable aux scènes d'action plutôt bien fichues (sans surprise), notamment une poursuite à moto très old school et une fusillade finale dont le panache excuse la nullité du prétendu super-tueur du cartel. Il y a des moments funs, surtout vers la fin, où Link enclenche enfin le mode « fuck them all » tant attendu. Dans ses bons moments, il fait un agréable petit thriller fleurant bon la poussière et la poudre à canon scié, ce qui n'est pas la pire des descriptions pour le pop-corneur moyen. Non, vraiment, nous aurions adoré être BFF avec BF (désolé), divertissement du samedi soir au mieux passable sans valeur ajoutée… comme celle de ressusciter Mel Gibson, par exemple.
Parce que soyons sérieux : l'histoire de Gibson, ce n'est pas « 2006, la disgrâce du vilain antisémite » et « 2016, le retour en grâce après dix ans de traversée du désert ». Il y a eu Edge of Darkness (Hors de contrôle) en 2010, Le Complexe du castor de Jodie Foster en 2011, Get the Gringo en 2012, sa participation au troisième Expendables en 2014… si l'on devait définir un « film du retour », ce serait en fait Edge of Darkness, sans aucun doute, dont l'auteur de ces lignes se souvient encore de l'effet qu'avait produit sur lui la vue d'un Gibson vieillissant (le précédent film dans lequel il l'avait vu datant de 2002 !). En fait, on recommandera bien davantage le snobé EoD que BF aux amateurs de films de vengeance bien virils : remarquablement mis en scène par Martin Campbell, il a le Gibson dans une forme toute aussi olympique, un antagoniste au niveau (Danny Huston en patron de multinationale pourri), la fille chérie sauf qu'ici elle est canée (banco !), les scènes d'action archi-cash espérées (qui opposent notamment Gibson à Frank Grillo !), et en prime, il a un personnage-joker fascinant (Jedburgh, campé par le génial Ray Winstone) pour compliquer un récit déjà plein de sens - que les petits critiques trop libéraux pour encaisser la loi du Talion aillent se faire pendre. En fait, on préfèrera même à BF le direct-to-DVD Get the Gringo, petit film de prison aussi agressif qu'amusant qui a l'avantage de son originalité. En fait, putain, BF n'a décidément RIEN de marquant, dans le parcours de l'acteur. Et pourtant, de sa présentation au Festival de Cannes à l'impressionnante quantité d'affiches qu'on trouve dans le métro, le film de Richet bénéficie d'une meilleure promo. 2010, 2016… plus d'eau est encore passée sous les ponts, et peut-être fallait-il attendre jusqu'ici. Peut-être était-ce le processus standard. On retrouvera prochainement l'acteur aux côtés de Sean Penn dans ce qui sent à plein nez le film à Oscars (The Professor and the Madman).
Allez, malgré tout, pour Mel !
En somme, Blood Father n'est pas un très bon film. Son écriture est sommaire et peu inspirée, son intrigue manque d'ambition, son couple père-fille d'authenticité, son méchant de charisme, et Erin Moriarty de talent. Mais Jean-François Richet, pas vraiment manchot avec une caméra, parvient malgré tout à nous trousser une série b divertissante… et Mel Gibson fait monter la qualité du spectacle d'une étoile, sans caricaturer. On sent le « blood » du titre couler dans les veines de son personnage-icône, et son odeur traverse la toile. Ce n'est pas vraiment rien. Avec un tout autre acteur, BF n'aurait sans doute même pas eu la moyenne. Grâce à lui, il s'y hisse sans mal, dans la catégorie « oubliable, MAIS regardable ». On tient cependant un de ses moins bons films.
À soixante piges passées, la jadis mégastar n'a plus qu'à choisir ses films avec un peu plus d'attention. Comme un Eastwood à son âge (Impitoyable, Dans la ligne de mire, Sur la route de Madison ! Collaborez, les gars, vous êtes tous les deux de droite !). Alors, ce sera vraiment quelque chose.