"Are you a soldier, or a female soldier ?"

[Petite précision avant lecture : si l'auteur de ces lignes n'est pas exactement fan de la politique étrangère de l'Oncle Sam, il ne condamnera pas de son sofa les mauvais traitements d'enfoirés plus ou moins directement responsables de dizaines ou de centaines de mort, sous prétexte que nous sommes tous des frères, et qu'Hitler aussi avait une maman, etc. Son visionnage du présent film s'est fait sur une base idéologique relativement neutre, ce qui était une plutôt bonne idée, vu le résultat.]


[Deuxième petite précision : cette critique a été rédigée bien avant que CXR ne soit édité en France, et ne voit son titre défiguré en un immonde "The Guard", sinistre illustration de la tendance actuelle au franglais chez les demeurés de la distribution - cf. Happiness Therapy et consorts. Ayez pitié pour eux ? Not.]


On craignait le pire. Ouais, même en appréciant K-Stew (yay) et les courageux petits films traitant de sujets qu'aucune major n'oserait aborder, on craignait quand même le pire avec ce pitch, potentielle chouinerie bobo-libérale où le méchant impérialiste yankee brimerait le gentil barbu un peu mystique mais dans le fond innocent. Avant de scandaliser les spectateurs de Fox News (qui seront sans doute très nombreux à lire ce texte), on reconnait que Camp X Ray n'évite pas totalement cet écueil, notamment au travers de quelques répliques ultra-simpliste (cf. « les responsables du 11 septembre sont morts dans l'attentat », dixit l'héroïne sur le ton de la vérité), ou en loupant ses personnages secondaires, réduits à de gros clichés desservant ce qu'ils incarnent (cf. le supérieur gros bourrin qui essaie forcément de se taper K-Stew à un moment de beuverie, ou encore le camarade hispanique qui n'arrête pas de parler pour dire des conneries, et qu'on croirait sorti d'une série b des 90's...).


Mais on se rend vite compte que le film n'est vraiment sur Guantanamo : Camp X Ray est quasiment apolitique. Ce n'est pas plus mal, parce qu'il aurait fallu un meilleur réalisateur que Peter Sattler pour faire honneur à un sujet de ce calibre, et étant donné la confidentialité de l'endroit, il faudrait déjà être sûr que ça colle à la réalité, ce qui n'est pas gagné (après tout, l'ère Bush est depuis longtemps passée). À quelques faits près, son action pourrait se passer dans n'importe quel pénitencier, en fait. Naturellement, le film n'est pas tendre avec Guantanamo (ou l'IDÉE de Guantanamo, le principe un peu trash d'« extraordinary rendition », etc. Mais son essence est ailleurs, tout comme l'objectif de sa caméra : elle est dans le drama intime qui se noue entre les deux personnages principaux, dans la relation entre Amy la bleusaille pleine de certitudes et Ali l'étranger éreinté par huit ans de détention.


Et c'est là que la chouinerie bobo-libérale ne se produit pas. Nulle idéalisation du djihadiste ou pseudo-djihadiste dans un délire romantique, ni d'un "choc des cultures" comme on pouvait le craindre (là encore, son personnage n'est pas un cliché). Pour preuve : Camp X Ray ne peut pas angéliser son terroriste, puisque le prisonnier/détendu/captif Ali est innocent, un dommage collatéral d'un système en roue libre. On pourra essayer d'y voir plus que ça, un quelconque message suggérant au spectateur que Guantanamo est rempli de gens injustement détenus comme le pauvre Ali, mais rien ne prête à le penser. En fait, en dehors d'Ali, les autres prisonniers barbus ont l'air de gros bourrins hystériques et misogynes (sans déconner). Du coup, quand Sattler essaie de nous amadouer avec son histoire de 7ème tome de Harry Potter tout meugnonne (figure éculée du "truc pour briser la glace"), on accepte de jouer le jeu.


Camp X Ray est une histoire d'amour platonique


Dans le rôle de la petite patriote américaine présente de son plein gré dans cet enfer par sens du devoir, pour « faire quelque chose qui compte », et finalement réaliser la complexité écrasante du monde, Kristen Stewart crève l'écran, et poursuit sa brillante carrière dans le cinéma indé (Adventureland, Welcome to the Rileys, Into the Wild, The Runaways, et le récent Sils Maria !) en voie de nous faire définitivement oublier l'erreur de jeunesse Twilight. Sa beauté singulière et "anti-flamboyante" lui permet de jouer ce type de rôle sans que l'apparence ne vienne parasiter sa performance aux yeux d'un public conditionné (ça serait plus difficile avec une Emma Watson). Elle et le grand Peyman Moaadi (Une Séparation), qui partagent l'essentiel des dialogues, brillent d'un feu commun qui explosera dans une longue séquence quasi-finale où il menacera de se suicider en se tranchant la gorge dans sa cellule, et où elle, impuissante puisque de l'autre côté de la porte, devra se livrer totalement pour l'en dissuader. À elle seule, cette séquence constitue le meilleur CV possible de l'actrice, profondément émouvante en fille réalisant à quel point elle est dépassée. L'alchimie entre les deux acteurs aura fait passer du début à la fin du film les quelques facilités psychologiques, et sert admirablement cette histoire d'homme brisé retrouvant l'espoir à travers sa rencontre avec une jeune femme (y a-t-il meilleure rencontre pour ça ?).


Bon, le film de Peter Sattler fait l'effort de nous apprendre deux-trois choses sur son décor, en tout cas tel qu'il fut un jour (les « shit-cocktails » [sic], les différents systèmes de punition, le fait que ses prisonniers, fussent-ils libérés, n'auraient nulle part où aller puisque aucun pays ne les accueillerait), ce qui est toujours bon à prendre. Il dit deux-trois choses intéressantes sur la condition de la femme dans l'armée au détour de conversations (« Are you a soldier, or are you a female soldier ? », question qui pourrait faire un bon sujet au bac). Mais ça ne casse pas trois pattes à un canard. On l'a déjà suggéré dans le premier paragraphe : hors de son amourette centrale, le regard que porte le brillant designer Peter Sattler (Star Trek) sur son sujet manque de caractère, comme sa réalisation (confondant dépouillement et platitude... comme quoi une planche de design et une caméra, ça n'a rien à voir). L'absence de moraline, que l'on salue au départ, pose problème lorsqu'elle induit une absence de propos. Que tirer des dialogues, que leur simplicité, d'abord efficace, finit par handicaper (lorsqu'on réalise que ça parle parfois pour ne rien dire) ? C'est plutôt dommage. Et cette faiblesse met en péril l'entreprise du film dans son entièreté.


On conseillera néanmoins à l'amateur de drames intimistes de sauter à pieds joints, en gardant ce que Camp X Ray a de bon, tant c'est VRAIMENT bon. Un autre signe de qualité est l'effet que produit la conclusion du film [spoiler alert], pas déprimante alors qu'elle n'est pas exactement positive dans les faits (elle et lui ne se reverront sans doute jamais, et lui reste un innocent enfermé dans une cellule de trois centimètres sur cinq). Ce qu'Amy dit à Ali sur l'absurdité du suicide, l'impossibilité de savoir de quoi l'avenir est fait, etc. agit comme un remède efficace à la face sombre de son histoire. On ne fait pas ici dans de l'optimisme niais, mais simplement dans un esprit de survie parfaitement adapté aux deux personnages principaux (survie dans sa cellule pour Ali, survie dans son errance existentielle pour Amy). Rien que ça, c'est assez fort.


Note : les films mettant en scène des femmes dans l'armée sont assez rares et casse-gueules pour susciter notre sympathie quand ils remplissent ne serait-ce qu'à moitié leur objectif. On se permettra donc, au passage, de citer le joli Fort Bliss, autre film indé offrant un rôle de soldate à des stars hollywoodiennes, cette fois-ci la plus jolie encore Michelle Monaghan. En gros, on est loin de GI Jane.

ScaarAlexander
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le 19 oct. 2014

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