Blow-up, chef-d'oeuvre de l'image
"Blow-Up" est le plus gros succès de Michelangelo Antonioni, et celui qui a obtenu la Palme d'or au Festival de Cannes 1966. "Blow-Up" constitue également une grande rupture dans l'oeuvre du maître italien, qui quitte son Italie natale pour aller tourner à Londres (le succès du film lui ouvrira ensuite les portes d'Hollywood, où il réalisera "Zabriskie Point").
Celui-ci n'est pas mon préféré d'Antonioni ; je préfère "Zabriskie Point" et "Le Cri" ; mais c'est tout de même un chef-d'oeuvre. Antonioni a acquis une grande maîtrise de son esthétique, il a trouvé ses thèmes majeurs, son "grain" de cinéaste, qui fait sa force et sa spécificité. Mais la forme choisie ici n'est plus celle de l'histoire d'amour ("Le Cri", "L'avventura", "Femmes entre elles"), mais celle du thriller, ce qui est une surprise, et une bonne surprise.
L'histoire n'est pas banale : un photographe, artiste un peu fou et complètement antipathique, prend des photos d'un couple dans un parc, couple composé d'une femme plutôt jeune et d'un vieil homme. La femme en question l'agresse pour récupérer les photos, mais il trouve moyen de les garder. En les développant, il prend conscience du mystère qui les entoure, et finit par apercevoir dans les buissons un homme armé d'un pistolet. Il comprend qu'une histoire de meurtre entoure ces photos, et ce couple dans le parc.
Encore une fois, nous avons droit à quelques scènes magnifiques, dont celle des photographies dans l'atelier de l'artiste. Le réalisateur met ainsi en abîme son art de l'image, et montre les personnalités dérangeantes qui se trouvent dans le monde de l'art. Parmi ces séances photo, on a la séance mythique avec Jane Birkin (découverte par Antonioni !) qui n'a pas lieu vu que l'artiste la refuse une première fois à cause de sa "robe ridicule", puis une nouvelle fois après avoir couché avec elle. Aussi, la scène du développement des photos, montré dans son entier, a une très grande force évocative : le rappel du travail manuel, concret de l'artiste, loin d'être un esprit voguant dans les nuées. Et puis, évidemment, la scène dans le sous-sol où se déroule un concert de rock, scène dans laquelle on plonge dans l'underground londonien, ses silences, ses folies, ses contradictions.
Mais la scène la plus splendide est sans aucun doute la scène finale, du retour dans le parc, du questionnement final sur la réalité ou non de l'histoire qui vient de se dérouler, alors que toutes les preuves dont disposait l'artiste ont disparues. Alors, les étudiants déguisés, que l'on avait déjà vus dans la première scène, reviennent dans le parc, et miment un match de tennis qui laisse l'artiste éberlué. Finalement, il va chercher la balle invisible, et reste planté au-milieu de l'herbe. On retrouve là encore l'idée d'"incommunicabilité" (très utilisée par la critique pour désigner les longs plans d'Antonioni) : le personnage ne comprend jamais vraiment ce qui lui arrive, le spectateur non plus. Il se passe des choses étranges, inexpliquées, et qui n'ont sans doute en réalité aucune explication.
"Blow-Up" est un film splendide. Comme d'habitude, il faut s'habituer à la "touche" Antonioni, au fait de ne pas tout comprendre la première fois, ni même la seconde fois, ni même parfois jamais ; il faut entrer dans les plans longs qui nous invitent à poser la question de l'image, de ce à quoi elle mène, de ce à quoi elle sert. Personnellement, c'est cette touche poétique, ce côté un peu lyrique et contemplateur, qui m'a tout de suite fait adorer ce réalisateur. Je ne peux donc que vous le conseiller.