Note de 2024 : Cette critique fut écrite il y a une douzaine d'années. La magie (?) des algorithmes fait que, comme elle était abusivement négative, elle a reçu beaucoup de mentions "j'aime" et s'est trouvée mise en avant. J'ai toujours peu d'affection pour Édouard Louis ; le fait qu'il ponde ces jours-ci son huitième (ou dixième?) livre sur sa mère ne l'a pas fait remonter dans mon estime. Il n'empêche que cette critique a des aspects bien stupides, en plus d'être écrite avec une légère pédanterie khâgneuse. Insultez-moi en commentaire si vous le souhaitez, ce que vous direz sera sans doute vrai. Mon avis est désormais loin d'être aussi négatif, bien qu'il ne soit toujours pas positif.
Je n'ai pas lu "En finir avec Eddy Bellegueule" à sa sortie, j'ai voulu laisser passer le temps, ne plus être dans le commentaire à chaud et à cœur, dans la passion et le débat qui ont animé sa sortie. Aussi, je suis assez difficile avec les autobiographies et les autofictions, je trouve que s'il n'y a pas un grand intérêt littéraire derrière, on peut s'en passer. Mais comme il y a marqué "Roman" en sous-titre sur la couverture du livre, je me suis dit que la perspective narrative serait peut-être intéressante, qu'on aurait quelque chose à tirer de ce livre au niveau littéraire. Mais, en fait, non.
"En finir avec Eddy Bellegueule" est un livre haineux sur la haine. Il y a deux buts à ce livre : dénoncer la haine dont l'auteur a été victime, et exprimer sa haine de tout ceux qui l'ont entouré. En ce sens, le livre fonctionne bien : tout concoure à cette haine : la mise en perspective de la violence qu'il subit, la rétrospection intérieure sur son malheur, l'utilisation des italiques pour mettre à distance les paroles des autres. Du coup, tout le livre est centré sur l'auteur, son sentiment face à la haine, et la construction de sa haine contre le reste du monde. Des paroles et des actes des autres, Édouard Louis trouve toujours une sentence morale ou sociologique à tirer ; de sa propre haine contre ses parents, l'école, ses proches, rien. Le fait d'utiliser uniquement la perspective intérieure permet de bien saisir la violence telle que subie de l'intérieure, mais elle ne permet jamais de porter un regard sur soi, ni de comprendre, encore moins de pardonner.
Car Édouard Louis fait dans la violence. Tout est violent dans ce livre : sa manière de traiter ses parents, ses proches, de tout déballer. On est dans le règlement de compte le plus sale : il s'agit de faire mal à sa mère, de faire mal à son père, de faire mal à ses frères et sœurs, de faire mal à tout ceux qui l'ont connu. Édouard Louis recrée le mécanisme de la haine : la haine qu'il a reçue, il la renvoie par la littérature. Et c'est extrêmement grave. C'est faire un usage purement haineux du texte écrit, faire un roman uniquement pour taper sur les autres. J'irai même jusqu'à dire qu’Édouard Louis ne vaut pas mieux que la gamin roux qui lui a craché au visage en le traitant de pédé. Lui aussi, il crache au visage ; et faire mal par l'écriture est aussi violent que faire mal physiquement, voire plus, les blessures sont plus profondes. C'est le syndrome du père qui a été enfant battu et qui bat donc ses enfants : on répète la haine parce que c'est la haine qui structure la pensée. Édouard Louis reproduit la haine qu'il a subi, purement et simplement, il reproduit le mécanisme de la haine, et se sert de la littérature pour accentuer sa haine.
Maintenant qu'on a déminé la perspective moralisante de ce livre, qui est la plus importante (car Édouard Louis cherche, apparemment, à faire œuvre de sociologie, ce à quoi il échoue étant donné qu'il ne met pas en question sa propre haine et sa propre posture), on peut s'interroger sur la valeur littéraire de cette œuvre, car il y a bien marqué "Roman" en sous-titre. Après lecture du livre, je ne comprends pas du tout ce sous-titre : ce livre n'est pas une construction maîtrisée, c'est un brûlot à chaud, centré tout autour du besoin de faire mal, de faire ressortir la violence. Les descriptions sont mauvaises, l'analyse est pauvre, parce que l'auteur n'arrive pas à sortir de son "je", de son "Édouard Louis", qui en fini avec "Eddy Bellegueule". S'il avait écrit un véritable roman autobiographique, en transcrivant son sentiment dans des personnages, il aurait pu mettre une distance entre lui et son œuvre, créer quelque chose de beau, d'intéressant, tout en gardant sa puissance brûlante. Mais il est trop obsédé par l'idée de faire mal, de mettre à nu ses petites histoires de famille, de montrer ses proches sous l'angle le plus violent et le plus malsain possible.
Au lieu de commettre ce livre, Édouard Louis aurait pu simplement régler ses comptes en direct avec sa mère, au lieu de mettre cela en scène dans un livre inintéressant. Je ne crois pas que son besoin de montrer au monde sa haine ait un quelconque intérêt pour le lecteur : on a juste envie de hausser les épaules. On pourrait aussi bien regarder "Plus belle la vie" ou une autre série pourrie, on aurait sensiblement les mêmes histoires, la même absence de talent. Plutôt que de s'apitoyer sur le sort d'un gamin plein de haine, on aimerait lire de bons livres.
(J'ai écrit l'original de cette critique ici : http://wildcritics.com/?q=critiques/en-finir-avec-eddy-bellegueule-edouard-louis)