La critique qu'on peut lire ci-dessous a été écrite il y a huit ans. Elle est celle qui m'a valu le plus de vues sur ce réseau, pour la simple raison qu'elle était outrancièrement négative, et accompagnée de la note aussi outrancièrement négative de 2/10 ; elle apparaît donc, depuis huit ans, comme la critique négative lorsqu'on va sur la page de ce livre. Si je reste d'accord avec ses grandes lignes (l'univers intellectuel d'Asimov me reste étranger, et je n'aime pas beaucoup sa manière d'écrire), une relecture m'oblige néanmoins à ne pas vouloir le dénigrer outre mesure. Je fais d'ailleurs quelques extraits du début avec mes 5e, lorsque j'ai cette classe en cours, dans ma séquence consacrée à la science-fiction, -et cela plaît, généralement. Si je fus si outrancier, outre les raisons déjà évoquées, c'est surtout pour une raison conjoncturelle : je voulais rompre l'unanimité dithyrambique qui régnait ici autour de ce livre, dont la note globale me paraît encore aujourd'hui étrangement haute. Sa présence très haut dans le top 111 m'avait étonné et irrité, d'où ma critique, qui fut une de mes toutes premières ici. J'ai appris, depuis, à m'habituer aux bizarreries du top 111 livres, dont la présence de ce livre n'est désormais qu'une des moindres.
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Après l'intense déception que m'a causée ce livre, il m'a fallu longuement me questionner pour savoir ce qui a fait de lui un livre culte. Je pense que je comprends l'essentiel : le caractère monumental de l’œuvre, le fait qu'il a fallu un très grand esprit pour penser une histoire sur plusieurs siècles, le côté très nouveau de cette œuvre, sa place dans l'histoire de la science-fiction, et la réflexion portée sur le libre-arbitre et la science.
Mais c'est bel et bien l'esprit "scientifique" d'Asimov qui fait, je pense, échec littéraire au livre. Non pas qu'on ne puisse faire un livre d'une grande puissance littéraire en se basant sur des principes scientifiques (Zola par exemple, même si son cas est un peu plus compliqué), mais ici à la fois la science est louée dans le fond du livre, et dans la forme l'écriture est sèche, "sans fioritures", fonctionnelle et purement informative. Cela pose deux problèmes essentiels, l'un dans le fond et l'autre dans la forme.
L'histoire du cycle raconte la victoire, après de nombreuses péripéties, du scientifique Hari Seldon, inventeur de la psychohistoire, qui prévoit la chute d'un empire galactique et donne des instructions sur des millénaires pour en reconstruire un. Le cycle signe donc une victoire totale de la science sur les aléas de l'histoire. Cette vision du monde qui voudrait que tout puisse être expliqué et changé par la science est totalement fausse. Cela serait trop long d'entamer ici un exposé philosophique, mais même chez les scientifiques, depuis Einstein notamment, et surtout depuis l'interprétation philosophique que Popper a fait de la science einsteinienne, nous savons que la science ne pourra pas tout expliquer, ni tout commander, ni vaincre les aléas des existences humaines qui s'entrechoquent. Contrairement à ce que pensaient Hegel, Marx et Asimov, il n'y a pas de "Raison dans l'histoire", jamais nous ne pourrons trouver la clé qui nous permettra de commander l'histoire.
Le corrélat de cette vision est que, dans ce cycle, les personnages sont effacés au profit de la Fondation. Faire défiler les personnages un à un, les faire disparaître avant que leur histoire ne puisse se tramer, est un bon procéder (repris par exemple en Fantasy dans "Le Trône de Fer" de Georges R.R. Martin, que je n'aime pas non plus, décidément), Asimov n'arrive pas à leur donner une assez grande teneur littéraire, à cause de sa volonté pseudo-scientifique, sa volonté d'être sec comme un traité de science. Sur tous les points, c’est la grosse machine qui gagne sur l’individu. Cette idéologie ne me plaît pas du tout ; en contrepoint, je mettrai Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley et 1984 de George Orwell, qui montre avec plus d’acuité et de présence humaine ce qui arrive quand un organe scientifique prend le pouvoir sur les individus.
Mais plus que tout, c’est l’absence de plaisir pris à la lecture qui me rebute : cette œuvre manque cruellement de style. Le cycle marque parce qu’il est imposant, mais je n’y trouve pas une belle page, pas un moment qui mérite d’en être gardé. Fondation se condamne à être un gros « machin » (pour reprendre l’expression gaullienne à propos de l’ONU) dans lequel on ne trouve rien. Pour résumer simplement : Asimov m’ennuie. Il y a un certain suspense avec les péripéties du Mulet, mais c’est tout, et c’est bien peu. Pas de scène qui mérite d’être culte (la scène du début où Hari Seldon va au centre de l’empire galactique pour essayer de parler à l’empereur est même complètement ratée), pas de réflexion qui élève le niveau, pas de description superbe, pas de travail sur le style. Le grand cycle finit par accoucher d’une souris littéraire.
Ce cycle d’Asimov traduit un optimisme et un matérialisme dont nous sommes revenus. Et, comme le montrait bien Virginia Woolf dans sa critique des œuvres de H.G. Welles, le roman matérialiste est condamné à l’échec, car il n’arrive pas à saisir ce qui fait l’humanité, c’est-à-dire sa pensée et ses émotions. Asimov met ici en place un futur fantasmé dans lequel tout s’arrange par la simple force de l’esprit scientifique, sans besoin de présence humaine, si ce n’est pour créer le grand cerveau qui dirigera le tout, la grande Fondation. Nous sommes revenus de cette vision de l’avenir. Le futur ne sera toujours qu’une aventure humaine, comme le montre très Philip K. Dick, qui est pour moi le maître absolu de la science-fiction. Et surtout, une œuvre de science-fiction ne peut faire abstraction du style ; elle ne peut, parce qu’elle est science-fiction, s’abandonner à un récit aride, pseudo-scientifique et qui ferait œuvre d’historien neutre et objectif, mais historien du futur ; elle doit se hisser sur le terrain des grandes œuvres, et prouver sa force par ses descriptions, ses réflexions et ses personnages, comme ont su si bien le faire Huxley, Orwell et surtout Philip K. Dick.