Fin des années soixante-dix, le scénariste phare du nouvel Hollywood se lance dans la réalisation après avoir écrit pour Scorsese (Taxi Driver), De Palma (Obsession) et même un peu Spielberg (Rencontre du Troisième Type).
Comme souvent, il se lance avec son frère dans un sujet aux résonances sociales marquées, puisqu'il s'agit d'un thriller dans une usine de construction de voitures, à Detroit, avec syndicat magouilleur, police aux ordres et tout le tintouin...

Au milieu de tout ça, trois pauvres bougres essaient de se dépêtrer comme ils peuvent entre les crédits multiples à rembourser pour leur part de rêve américain confortable trop cher et trop fragile... Les gosses qui pèsent, les femmes qui lassent, les deux jobs à cumuler parfois, la petite bière du bistrot après le boulot, le contre-maître puant, la machine à boissons qui ne rend pas la pièce... Schrader excelle a faire vivre l'ambiance physique et tactile de ces moments quotidiens, le tout entrecoupées de très belles scènes d'usine à la bande-son enlevée qui donne à l'ensemble un petit air mélancolique et désabusé du dernier meilleur ton.

Et puis, l'accumulation aidant, l'occasion fait les larrons, un braquage trop gros pour nos trois branquignoles qui vont s'enfoncer petit à petit comme dans un petit film des frères Coen en terriblement réaliste.

En 1978, Yaphet Kotto n'a pas encore révélé sa bonne bouille à tout le monde comme il le fera l'année suivante dans Alien mais il s'impose ici majestueusement dans le seul rôle célibataire de la triplette, comme un grand frère protecteur et sans espoir qui brûle ses maigres salaires dans les filles faciles et l'amitié intransigeante. Richard Pryor, lui est la grande star black comique de l'époque, il vient de connaître deux ans plus tôt un succès phénoménal avec Transamerica Express et approche de l'apogée de sa très courte carrière. Dans le rôle de Zeke, tête chaude et grande gueule, il apporte la petite touche d'authenticité qui convient sans parler de ses prédispositions à jouer les têtes à claques...
Mais celui qui s'impose réellement ici, c'est Harvey Keitel, après quelques rôles marquants chez Scorsese et un très beau personnage dans Duellistes, il est ici bouleversant en Pollack dépassé par une vie qui ne lui accorde, d'emblée, aucune chance de s'en sortir... Loin des petits tics d'acteurs chevronnés qui feront un peu trop facilement sa gloire future, il est transcendant de sobriété et d'impuissance contenue et compose probablement une de ses plus belles et plus discrètes performances.

Ce n'est bien sûr pas la première fois que des rôles d'ouvriers sont ainsi mis en valeur, ce n'est pas non plus la première fois que des acteurs blancs et de couleurs se mêlent équitablement dans une histoire, mais c'est une des fois où cela s'impose le plus naturellement, comme une évidence, et tout au service d'un message un peu simpliste peut-être mais qui n'en possède pas moins une force bien réelle...

Et puis, je ne sais pas moi, un film qui traite les syndicalistes comme on voudrait traiter les nôtres pour des raisons identiques, ça ne peut pas être complètement antipathique.
Torpenn
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le 3 août 2013

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Torpenn

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