Les cols bleus

Blue collar désigne (avec un trait d’union) les cols bleus, c’est-à-dire les ouvriers effectuant un travail pénible (industrie, bâtiment), en opposition aux White-Collar jobs, les cols blancs. À la fin des années 70, dans une usine automobile d’un Détroit jouissant encore de son statut de capitale industrielle, Paul Schrader a posé sa caméra pour s’intéresser à cette catégorie, avec une perspective à la fois sociologique, professionnelle, économique et politique, sans lourdeur ni pathos, mais avec lucidité et gaieté.

Le bruit assourdissant des machines, la chaleur étouffante, la répétition aliénante des tâches, des ouvriers principalement noirs ouvrent le film et nous plongent d’emblée dans le milieu. Puis entre quelques bières bues au bar d’à côté, les petits chefs, autoritaires et racistes, qui contrôlent tout et ne laissent pas respirer les travailleurs ; les réunions de syndicat, celui-ci accusé de ne rien foutre – au fond, de collaborer avec le patronat ; les tirades détonantes de Zeke (l’excellent R. Pryor). Puis vient le quotidien humble mais fier des ouvriers : intérieurs simples bercés par la télévision et la marmaille, difficultés économiques – d’où magouilles ou deuxième boulot – et aussi franche déconnade, entre bowling en famille, bières entre potes et même grosse orgie délirante. Voilà pour la partie disons documentaire, filmée avec un souci de réalisme presque documentaire.

La deuxième partie bifurque vers le polar politique, avec le syndicat qui divise pour mieux régner, ses secrets à garder à tout prix, le FBI ou la CIA qui s’immisce et une paranoïa naissante, engendrant une peur légitime. À ce sujet, la scène de la voiture à peindre est très bonne, suffocante à souhait.

Dans ce film très bien documenté, Paul Schrader montre avec authenticité une Amérique méconnue, rarement montrée au cinéma, attachante malgré ses défauts humains. Après les scenari à succès qu’il a écrits (Yakuza de S. Pollack, Taxi Driver de Scorsese, Obsession de De Palma, entre autres), il prouve qu’il fait alors bel et bien partie du Nouvel Hollywood en tant que réalisateur.