Dans une mise en abyme permanente, qui raccorde le spectateur à son statut de voyeur et à la pulsion scopique qui le gouverne, Body Double se plaît à mettre en scène une image inversée de chaque corps. Il s’agit d’abord du corps des comédiens : l’actrice Deborah Shelton, issue de la pornographie, interprète une bourgeoise fortunée qui tue le temps dans le shopping et les séjours à la plage ; à l’inverse, c’est à Melanie Griffith que revient le rôle de la star du X que l’on paie pour divertir notre protagoniste principal. Celui-ci oscille entre d’une part le gentil garçon un peu coincé et bouleversé par la découverte de l’adultère de sa conjointe, et d’autre part le producteur lubrique et sûr de lui. Même constat pour Sam Bouchard : l’ami d’une journée se transforme en un Indien terrifiant et convertit sa bonhomie en cruauté sadique. Le long métrage transgresse ainsi le quatrième mur pour raccorder le statut d’acteur au verbe qui le construit, à savoir « agir » : il revient plusieurs fois sur l’opposition entre l’activité et la passivité, entre l’engagement et la lâcheté, et son récit ne porte rien d’autre que le réveil d’un homme sinon endormi dans un quotidien mécanique. Aussi la tromperie initiale constitue-t-elle l’élément déclencheur d’une puissante et fondamentale secousse : d’abord paralysé dans un caveau, il finira par en lever le couvercle en hurlant et croquer la vie à pleines dents, métaphore du vampire oblige !
Le principe d’inversion, à entendre dans la polysémie d’une réflexion à la fois visuelle (reflet) et intellectuelle (hommage/parodie), s’observe également dans le corps du septième art, notamment celui d’Alfred Hitchcock : Brian de Palma circule parmi différentes œuvres du cinéaste, en particulier Rear Window (1955) et Vertigo (1958), pour mieux les pasticher avec humour. Il se démarque ainsi de son modèle, et signe avec Body Double un nouveau coup de maître d’une liberté narrative et visuelle mémorable.