Boléro s’achève par là où il aurait dû commencer : l’orchestration du morceau de même nom dirigée par Ravel, en dépit de la brèche que celui-ci a ouverte au sein de l’artiste, du tiraillement interne qu’il a créé entre la réserve et l’amour, entre la maîtrise et la passion, entre musique profonde mais impopulaire et succès populaire renié. Autrement dit, la tension qui sépare Ravel du Boléro redescend comme par magie, donnant lieu à une séquence à l’esthétique flamboyante mais envahissante qui rappelle la guerre des Ken organisée par Barbie (Greta Gerwig, 2023). Dès lors, au lieu de remonter aux origines de cette anomalie dans l’œuvre du compositeur, Anne Fontaine préfère imaginer sa genèse en respectant la chronologie, entreprise périlleuse dans la mesure où la naissance d’un symbole (musical, religieux etc.) ne saurait être à la portée de nos sens et de notre intellect qui, eux, l’ont intégré et ont été façonnés par lui.
Voir Raphaël Personnaz pianoter jusqu’à trouver le thème aussitôt joué aussitôt rejoué aussitôt validé et acclamé par l’assistance déconcerte et produit une impression tenace d’artificialité qui s’étend à l’ensemble du long métrage. La réalisation ne sait pas comment filmer son comédien au piano : les mains captées en gros plan ne semblent pas siennes, tout comme le mouvement des avant-bras ne paraissent pas accompagner la mélodie entendue. Une telle suspicion de fraude s’étend aux décors extérieurs, ceux de l’industrie et de New York, trop beaux pour être vrais, trop poseurs pour rendre la fugacité exigée par le scénario, et à la reconstitution de l’effervescence culturelle dans laquelle a baigné Ravel, réduite aux accolades chaleureuses Vincent Pérez. Rien sur le surréalisme, rien sur le cubisme. Maurice Ravel a tout inventé !
La photographie de Christophe Beaucarne frappe par son inspiration, quoique les comédiens, serrés dans des costumes et dans des chaussures cirées, enfermés dans des caractères immuables qui les étouffent, l’empêchent de prendre de l’ampleur. Boléro ressemble à ces esquisses en deux dimensions crayonnées au brouillon : de bonnes idées sans lien encore, une suite de pistes qu’aucun fil conducteur ne vient rassembler – n’oublions pas les flashbacks inutiles revenant sur son engagement au front... L’une des dernière répliques rapporte la déception du compositeur à l’idée de ne passer à la postérité que par cet unique morceau : Anne Fontaine conforte cette déception en limitant le temps d’écoute de ses autres partitions et en les relayant en musique d’accompagnement, en fond sonore insignifiant. Dommage.