Réalisateur et scénariste depuis près de 25 ans, Martin Provost nous propose ici son 8ème long-métrage, son deuxième Biopic sur la peinture après le multi-césarisé Séraphine de 2008. Librement adapté de la vie de l'immense peintre Pierre Bonnard et de sa muse Marthe que l'on voit sur un bon tiers de ses toiles, ce film biographique est vu sous l'angle de leur romance tumultueuse, ainsi que son influence sur la vie du peintre, sans pour autant que son art ne soit oublié, loin de là, d'autant que pour lui la peinture c'est toute sa vie, à ce point qu'il refusera à Marthe de faire des enfants. C'est d'autant plus intéressant que Bonnard est réputé comme le peintre du bonheur !
Passionnante à rappeler, la genèse de ce film a été très longue, puisque dès le succès de Séraphine, la petite-nièce de Marthe, Pierrette Vernon, vient voir le réalisateur pour lui proposer de faire un film sur la vie des Bonnard; il présente alors Pierrette à Françoise Cloarec, auteure de Séraphine, qui écrit en 2016 un livre intitulé l'Indolente, le mystère Marthe Bonnard. En parallèle Martin Provost fait d'autres films, en oubliant les Bonnard, mais le hasard fait qu'il passe la période du confinement chez lui à la campagne, très proche de la fameuse Roulotte, maison en bord de Seine où les Bonnard ont habité ! A ce moment, le réalisateur se met enfin à écrire le film, travail long et laborieux puisqu'il construit un scénario sur presque 50 ans, de leur rencontre en 1893 à la mort de Marthe en 1942.
Inévitablement, un Biopic sur une si longue durée pour un film autour des deux heures, (à l'instar des récents Abbé Pierre ou Napoléon), demande à faire des choix plus au moins appréciés des spectateurs selon leur angle d'intérêt et leur perception du visionnage ! Ce film n'échappe pas à la règle et notamment met l'emphase et mélange des scènes romantiques et dramatiques, voire comiques selon un ordre pas toujours cohérent, bien que globalement la mise en scène soit plutôt efficace, dans des lieux de tournage en France (Paris, Normandie, Provence) et à Rome, où les couleurs volontiers pastelles et chaudes ne sont pas sans rappeler la palette de couleurs de Bonnard et c'est très réussi !
Sur le plan des acteurs, la réussite du film repose d'abord sur Cécile de France, incarnant avec virtuosité et force Marthe Bonnard (très attendue par le réalisateur, elle n'aurait pas pu refuser à l'auteur du film Séraphine), et dont le jeu s'affine en profondeur au fur et à mesure qu'elle prend de l'âge, et aussi sur Vincent Macaigne, très bien préparé et grimé dans le rôle de Pierre Bonnard sur la durée ce qui est une performance; il semble cependant un ton en dessous de Marthe, sans doute dû à son personnage plutôt effacé et vivant surtout pour sa peinture, mais aimant cependant pas les femmes, ses modèles !
De mon point de vue, le film est partagé en deux parties de même durée, mais inégales en terme de rythme et d'intérêt dramatiques et émotionnels :
- La première voit certes la belle rencontre follement amoureuse de Pierre et Marthe, qui va apparaître sur beaucoup de ses toiles, surtout nue, cette dernière trichant sur son âge, son nom qu'elle affiche italien et sa fausse condition d'orpheline, le réalisateur nous montrant régulièrement sa mère, puis sa sœur et ses nièces; au-delà des interrogations que cela pose, on découvre une Marthe à la santé fragile, plutôt jalouse, et qui ne va pas pouvoir s'intégrer dans le cercle des amis de Pierre Bonnard, membre du mouvement Nabi (mouvement artistique postimpressionniste d'avant-garde), comme Vuillard ou Vallotton que l'on croise dans le film, ou encore la musicienne et mécène Misia Sert (campée par une Anouk Grinbert décevante dans ce rôle et manquant de finesse), avec qui Marthe est persuadée que Pierre la trompe. Ces craintes et les crises associées poussent le couple à s'isoler à la fameuse Roulotte, en bord de Seine et non loin de Giverny, où ils verront tout de même Claude Monet (joué par un très convainquant André Marcon) et sa délicieuse épouse Alice ! Cette partie est loin d'être la plus intéressante avec un Bonnard toujours affable, sans caractère, obsédé par sa peinture et une Marthe plutôt hystérique;
- La deuxième partie, après guerre, beaucoup plus rythmée et intéressante sur le plan des émotions et des sentiments, démarre lorsque Pierre fait la connaissance d'une nouvelle très jeune modèle, Renée Monchaty (incarnée par une magnifique, lumineuse et déterminée Stacy Martin), qui va d'abord paradoxalement redonner de la passion à leur couple, mais créer ensuite des situations intenses et terriblement dramatiques qui ébranleront les Bonnard jusqu'à la fin de leur vie; je ne détaille pas plus cette partie pour préserver l'intérêt du film, mais cela vaut vraiment le coup d'attendre un peu pour vivre cette intensité, d'autant que l'on y voit Marthe démarrer sur le tard son expérience de peintre qui sera très bien accueillie par ses pairs, Claude Monet et Pierre Bonnard en tête !
Sur un autre registre, le réalisateur ne manque pas de mettre en évidence les travers de la société patriarcal de l'époque et la misogynie ambiante, même si l'on évoque une femme au rôle aussi important auprès de Pierre Bonnard toute sa vie ! Exemple :
Marthe : pourquoi n'y a-t-il que des femmes qui posent ? Pierre : parce que seuls les hommes peignent !
En synthèse, un film très intéressant, même avec quelques scènes un peu brouillonnes, pour découvrir les faces cachées de ce couple méconnu, Pierre Bonnard attirant seul depuis des décennies toute la lumière sur ses plus de 2000 toiles, et qui permettra sans doute d'admirer leurs deux œuvres sous un angle différent !