Mulder si j't'attrape, j't'endors !
S'affrontent dans Borgman tout un tas de vents contraires. De son introduction frôlant le burlesque, qui sera la seule à nous mettre sur les rails de la compréhension, à sa fin manquée dont émane un doux parfum de série télévisée au rabais, il y a pourtant de très belles initiatives, à commencer par la volonté amusante de son metteur en scène d'y mêler absurde et fantastique. Il y a fort à parier que le petit tutoriel pour se débarrasser d’un corps avec un seau de chantier rempli de béton restera dans les mémoires. La trouvaille, à mi-chemin entre réalisme malsain et burlesque hilarant, prouve tout le potentiel qui habite Borgman. Potentiel qui ne sera pas totalement exploité, la faute à une cérébralisation un peu trop poussée d'un mécanisme du mystère pas complètement honnête.
Parce qu'à force de trop brouiller les cartes, en jouant ce jeu énervant qui consiste à ouvrir les vannes de l'interprétation, au moyen notamment de métaphores un peu pompeuses (quid des lévriers ou de ce spectacle final inopportun), pour les refermer presque immédiatement, histoire de ne jamais valider, ou invalider, les hypothèses qui en sont nées, le risque est de casser la rythmique efficace qui était née d'un mélange subtil des genres.
Borgman est hanté de belles mais troubles influences, dont la parenté peut être dévastatrice. Difficile par exemple de soutenir la comparaison avec le Théorème de Pasolini dont il reprend la mécanique : celle d'introduire dans une cellule familiale bien réglée, un électron libre soumis à aucune règle sinon les siennes. La différence étant que Pasolini joue sur un jeu d'ambiance et d'attitude, sans cacher son intention première pour rendre la séance éprouvante, alors que Alex Van Warmerdam préfère, lui, ne jamais réellement assumer son discours. Pour preuve, il n’hésite pas à affubler ses personnages de comportements inexplicables si cela peut contribuer à rendre son film peu compréhensible : l'attitude de la mère de famille qui se consume de désir pour le pauvre clochard que son mari a éclaté sans vergogne paraît un peu cavalière.
En découle un sentiment mêlé de fascination et d’agacement. L’intention première d’Alex Van Warmerdam force le respect, jouer la carte du fantastique absurde, sans sombrer dans la démence potache, est une belle preuve d’intelligence. D’autant plus qu’elle est portée par des acteurs parfaitement dirigés, à commencer par l'énigmatique Jan Bijvoet, qui apporte mystère, charisme et magnétisme à ce clochard faussement paumé dont la nature de stratège sournois saura nous prendre au dépourvu. Dommage que dans le même temps, l’auteur se laisse envahir par sa volonté de générer du mystère à tout prix, quitte à nourrir son spectateur de pistes de réflexion que l’on comprend bien vite stériles pour camoufler la vérité de son sujet, si vérité il y a.
Trop à cheval entre l’abstraction totale, l’onirisme sauvage et la vérité venue d’ailleurs, Borgman ne parvient pas à conserver ce qui faisait la force de son début, son auteur se perdant lui même dans le labyrinthe narratif qui l'a mené à un point final on ne peut plus manqué. On franchit alors cette dernière étape à bout de souffle, lassé par un travail d’écriture qui se veut beaucoup trop malin pour être honnête.