Il y a parfois des films où il suffit de lire les premières lignes du générique pour se rendre compte qu’il y a très peu de risques que ce que l’on s’apprête à voir soit déplaisant. Alors, voyant un film d’Howard Hawks, quand s’affichent successivement les noms de Gary Cooper, Barbara Stanwyck et Billy Wilder (pour l’écriture) à l’écran, je ne me fais pas trop de souci.
« Ball of Fire » a un côté qui rappelle l’album de Lucky Luke « Les Collines Noires », où le cow-boy solitaire est chargé d’escorter une bande de scientifiques européens dans la partie la plus sauvage du Wyoming. Chacun possède sa spécialité, du naturaliste amateur de Charles Perrault à l’anthropologue fasciné par les crânes en passant par le géomètre féru de photographie. Ils sont, aussi, adorablement maladroits, parfaitement polis et aimables, et totalement inadaptés à la vie de l’ouest sauvage.
Dans « Ball of Fire », Gary Cooper incarne le chef de file, Potts, d’une équipe de savants très similaires. Reclus dans une pension new-yorkaise où ils vivent et travaillent sous la férule et le regard sévère – mais bienveillant – de Miss Bragg, ces huit hommes aux professions variées (mathématicien, astronome, botaniste…) consacrent leur temps et leur énergie, depuis presque dix ans, à la rédaction d’une encyclopédie moderne. Aussi adorables soient-ils, sorte de nerds du passé, ils sont tout à fait novices dans le domaine des relations humaines.
Potts est le linguiste du groupe. Il réalise un jour, au détour d’une conversation avec un éboueur de passage, à quel point il ne maîtrise pas le langage de la rue, l’argot new-yorkais. Il se rend alors sur le terrain et fait la rencontre de la chanteuse Sugarpuss (Stanwyck) qui, en délicatesse avec la police, accepte sa proposition de participer à des tables rondes sur l’état de la langue.
L’intrigue du film est relativement mineure ; Wilder développe en parallèle une très sommaire histoire policière qui sert principalement de motif à Sugarpuss pour se rendre chez les encyclopédistes. L’intérêt principal du métrage réside dans ses personnages et leurs interactions. Le choc des cultures, entre la chanteuse de cabaret au langage peu châtié et les braves savants d’un autre âge, est, on s’en doute, assez pittoresque. L’introduction d’une jeune demoiselle aux jambes interminables dans une maison entièrement habitée par des hommes célibataires et assez âgés (sauf le beau Gary, bien entendu) est également susceptible de donner lieu à quelques accrochages mémorables.
La philosophie de Hawks sur le cinéma était simple : "un bon film se compose de trois bonnes scènes et d’aucune mauvaise". Fidèle à cette maxime, il saupoudre « Ball of Fire » de quelques séquences absolument mémorables qui mettent en scène la romance entre Sugarpuss et Potts ou encore l’ingéniosité des savants. Le tout baignant dans une atmosphère bon enfant tout à fait charmante et ne vise qu’à un seul but : détendre l’audience par le rire.
Tout l’art du cinéma d’Howard Hawks se retrouve dans « Ball of Fire ». Pas besoin de s’encombrer avec des messages politiques hasardeux, des méditations métaphysiques complexes pour faire un grand film (même si cela est possible, attention). Une histoire simple, mais efficace et diablement originale, munie de dialogues finement ciselés, certes signés par l’un des plus brillants artistes du septième art, d’un cast d’exception et d’une mise en scène au cordeau constitue finalement un moyen plus sûr de signer un chef d’œuvre. Donc, cette petite romance sans prétention, avec un Gary Cooper qui permet à lui seul de croire au postulat du film (la chanteuse qui tombe amoureuse du savant fou et emprunté) et une Barbara Stanwyck presque jolie - et très chastement vêtue -, est une vraie pépite à tous les niveaux. Un genre de divertissement ultime. On aurait tort de s’en priver !